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[club] – Mort de la dernière béguine

Le mouvement des béguines n’existe plus.

La dernière béguine, Marcella Pattyn, vient de mourir à l’âge de 92 ans.

http://www.lavoixdunord.fr/region/la-derniere-beguine-au-monde-est-morte-a-courtrai-ia0b0n1186785

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[bio] Elizabeth Barrett Browning

elizabethbarrettbrowningElizabeth Barrett naît en 1806 à Durham en Angleterre. Quatre éléments se détachent de sa biographie : une précocité intellectuelle, une maladie incurable, un père autoritaire et une passion amoureuse.


Une précocité intellectuelle. Elizabeth lit Shakespeare, Homère et Milton avant l’âge de dix ans et écrit à l’âge de douze ans un poème épique, The battle of Marathon, publié anonymement en 1819. D’autres recueils toujours anonymes suivent témoignant de ses progrès artistiques et intellectuels. Ses poèmes reflètent ses préoccupations métaphysiques et religieuses, mais aussi sa connaissance des classiques grecs et des idées des Lumières. Ce n’est qu’à l’âge de trente-deux ans qu’elle publiera sous son nom Le séraphin et autres poèmes. Les critiques lui seront dès lors toujours favorables et Elizabeth est reconnue par ses pairs, comme en témoigne son importante correspondance avec des personnalités de son temps, dont le poète William Wordsworth. La première publication des Poèmes en 1844 font d’elle l’un des poètes les plus connus du pays. L’ouvrage connaîtra par la suite trois rééditions en 1850, 1853 et 1856.


Une maladie incurable. En 1821, Elizabeth tombe malade et le médecin lui prescrit de l’opium. Ce remède et les séquelles de la maladie, ainsi que le chagrin causé par la mort de sa mère et de son frère, feront d’Elizabeth une femme à la santé fragile, souvent contrainte de garder la chambre.


Un père autoritaire, une passion amoureuse. Cette réclusion convient à son père, un homme autoritaire qui interdit à ses enfants de se marier. Aussi quand le poète Robert Browning décide de l’épouser en 1846 après plus d’un an de correspondance amoureuse, il doit le faire en secret avant de l’enlever en Italie. De cette histoire d’amour Elizabeth a tiré son œuvre la plus célèbre, les Sonnets portugais, publié en 1850. L’année précédente, la poétesse a donné naissance à un fils, Robert Wiedemann, après plusieurs fausses couches. Elle meurt à Florence en 1861.


Un engagement politique. Ses dix dernières années sont marquées par un intérêt important pour la politique italienne qui se retrouve dans ses œuvres qui dénonce l’oppression autrichienne : Les fenêtres de la Casa Guidi (1851), Poèmes d’avant le Congrès (1861). Ce dernier ouvrage a été mal accueilli en raison de son engagement.


Aurora Leigh


Rédaction et sujet. Aurora Leigh paraît en 1857. Ce roman en vers blancs (blank verses) raconte l’itinéraire d’une artiste, la narratrice éponyme, depuis sa naissance jusqu’à ses trente ans. Après la mort de sa mère italienne et de son père, Aurora, treize ans, est confiée à sa tante qui vit en Angleterre selon des principes stricts et traditionnels. A vingt ans, la jeune fille refuse la demande en mariage de son cousin Rommey car elle ne veut pas renoncer à sa vocation de poète. Elle parviendra en effet à se faire connaître dans le monde littéraire et finira par retrouver son promis.


Réception et féminisme. Le roman est peu remarqué par ses contemporains et semble voué à l’oubli face aux Sonnets portugais. Virginia Woolf cependant le distingue préfigurant l’intérêt que les féministes vont lui porter par la suite. Woolf voit en Aurora « with her passionate interest in the social questions, her conflict as artist and woman, her longing for knowledge and freedom, is the true daughter of her age ». Les féministes en effet saluent la dénonciation de la domination masculine dans la société victorienne et voient dans l’itinéraire d’Aurora une préfiguration de l’émancipation féminine
Elizabeth Barrett Browning n’a pourtant jamais revendiqué un engagement féministe : le roman se termine d’ailleurs par une célébration du mariage.


Bibliographie sélective :
Les sonnets portugais, Gallimard, « Poésie » n°281, 1994, 9782070328192, 7,60 €.
http://www.poemofquotes.com/elizabethbarrettbrowning/
Aurora Leigh, Penguin, « Adult paperback » , 2006, 9780140434125, 15 €
http://digital.library.upenn.edu/women/barrett/aurora/aurora.html


Pour aller plus loin :
http://www.online-literature.com/elizabeth-browning
http://www.victorianweb.org/authors/ebb/ebbio.html
http://www.florin.ms/ebbwebsite.html
http://www.poets.org/poet.php/prmPID/152 


Texte de Daisy, 03/05/09.

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[bio] Denis Diderot

diderotDenis Diderot naît en 1713 à Langres.

Le fils prodigue. Son père est maître coutelier et appartient aux notables de la ville. Il destine son fils au clergé. Il lui paye des études chez les jésuites de la ville puis à Paris à Louis-le-Grand et au collège d’Harcourt. Diderot déçoit les ambitions de son père en abandonnant la théologie, puis le notariat pour une carrière plus incertaine de philosophe. En 1737, son père lui coupe les vivres. Diderot gagne sa vie en exerçant le métier de précepteur et de traducteur. Il continue à décevoir son père en épousant en 1743 Antoinette Champion, lingère. Son père l’avait fait enfermer dans un monastère pour éviter cette union, mais il a réussi à s’échapper. Le ménage ne sera pas heureux, mais aura quatre enfants dont une seule fille grandira, Angélique née en 1753.

Des débuts sulfureux. Diderot fréquente le milieu des penseurs et des écrivains. Il se lie notamment avec Rousseau et Condillac. Il publie les Pensées philosophiques en 1746 et écrit la Promenade du sceptique en 1747. Il hésite entre déisme, spinozisme et matérialisme. C’est vers ce dernier qu’il va définitivement pencher dans la Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient publiée en 1749 et aussitôt censurée. Il est emprisonné trois mois à Vincennes. Cette condamnation le marquera toute sa vie et l’incitera à la prudence. Ainsi, la trilogie qui expose sa philosophie matérialiste et ses conséquences sur la morale, Entretien entre d’Alembert et Diderot, Le Rêve de d’Alembert, et La suite de l’entretien ne paraîtront qu’après sa mort.

L’Encyclopédie. La publication de l’Encyclopédie occupe la vie de Diderot de 1751, date de la parution du premier volume, à 1766, date de la parution du dernier volume. Il pilote le projet avec d’Alembert et rédige de nombreux articles. Sa contribution est difficile à évaluer car tous les articles ne sont pas signés. Cette fois encore Diderot est marqué par la censure qui frappe l’oeuvre. En 1759, la parution est suspendue et D’Alembert abandonne le projet. La publication se poursuit clandestinement mais peut officiellement reprendre en 1762. Diderot est vivement déçu en découvrant en 1764 que son libraire Le Breton a lui-même censuré de nombreux articles. Sur le plan privé, cette période est marquée par deux rencontres celle de Sophie Volland en 1755, qui restera en plus d’une amante une amie fidèle, et celle de Madame d’Epinay en 1756. En 1758, il rompt avec Rousseau à qui il ne pardonne pas de se désolidariser des autres encyclopédistes à une période où ils sont critiqués de toutes parts.

Le critique d’art. Diderot s’intéresse de prêt à l’art. Il écrit en 1752 l’article « Beau » de l’Encyclopédie. Il s’intéresse à la musique. Il collabore avec Rameau à la rédaction de la Démonstration du principe de l’harmonie. Il se penche également sur le théâtre (Discours sur la poésie dramatique, Paradoxe du comédien) et le roman (Eloge de Richardson). Il est reconnu pour son goût en peinture et acquiert au nom de l’impératrice Catherine II de Russie plusieurs tableaux. Il publie neuf comptes-rendus des Salons qui se tiennent tous les deux ans dans la Cour Carrée du Louvres (1759-1771,1775,1780). Il est ainsi considéré comme l’un des pionniers de la critique d’art. Il admire particulièrement Vernet, La Tour, Chardin, Greuze et David. Il développe une théorie de l’art comme traduction de la nature.

Le conseiller politique. En 1762, Catherine II achète en viager la bibliothèque de Diderot afin qu’il puisse et la conserver et jouir d’une rente. Il est régulièrement invité par la souveraine à Saint-Pétersbourg où elle entend profiter de ses conseils éclairés. Il ne cède à l’invitation qu’au bout de onze ans et séjourne en Russie de juin 1773 à octobre 1774. Diderot ne se fait aucune illusion sur le despotisme, qu’il soit ou non éclairé, et croit beaucoup en l’éducation. La tsarine ne suivra pas ses conseils (Observations sur le Nakaz, 1774 ; Plan d’une université, 1775). A la fin de sa vie, il suit les changements : l’arrivée de Louis XVI au pouvoir, les réformes de Turgot, la révolution américaine (Apostrophe aux Insurgents, 1778).

Le sage. A la fin de sa vie, Diderot relit Sénèque (Essai sur la vie de Sénèque ouEssai sur les règnes de Claude et de Néron) et revient sur les interrogations que la paternité a fait jaillir en lui. Il a en effet choisi de marier sa fille et de l’élever dans la religion catholique, deux institutions auxquelles il ne croit pas. L’éducation de sa fille, de même que la censure dont il a été victime, l’a en effet confronté à l’opposition entre la société et la morale qu’il pense juste et qu’il expose notamment dans Les trois contes moraux. Il a remarqué qu’il était difficile de s’opposer aux normes de la société. Il a donc choisi la liberté du sage qui, sans s’abstenir de penser, sait s’abstenir de parler et d’écrire. Diderot s’est seulement abstenu de publier. A la fin de sa vie, il met de l’ordre dans ses papiers et recopie ses œuvres en vue d’une publication posthume. Ainsi la plupart des œuvres aujourd’hui les plus célèbres de Diderot n’ont pas été éditées de son vivant. Elles ont parfois été diffusées dans la Correspondance littéraire, mais cette revue avait un tirage restreint à une douzaine d’exemplaire : La Religieuse, le Neveu de rameau, Jacques le Fataliste et son maître, Les trois contes moraux…

Il meurt à Paris en 1784.

La Religieuse

Le roman est un récit à la première personne adressée par Suzanne Simonin, une religieuse qui s’est échappée de son couvent, au marquis de Croismare de qui elle attend de l’aide. Elle lui raconte comment elle a été forcée à prendre le voile par ses parents et combien elle a souffert depuis (torture, viol…).

Genèse et publication. La religieuse est un personnage de fiction, tandis que le marquis de Croismare est un personnage réel. En 1760, Diderot, Grimm et quelques amis montent un canular contre celui-là dans le but de le faire revenir à Paris. Ils rédigent et envoient des lettres d’une fausse religieuse en fuite au marquis. Grimm révèle la farce en 1770 dans la Correspondance littéraire, texte qui deviendra la Préface de la Religieuse. La farce ne dure que quatre mois, de février à mai 1760, mais Diderot en tire l’argument d’un roman qu’il rédige entre 1762 et 1780. Il le fait alors lire aux lecteurs de laCorrespondance littéraire. Il est publié de manière posthume en 1796.

Réception de l’œuvre. L’œuvre paraît sous le Directoire en plein dans le débat sur la responsabilité des philosophes vis-à-vis de la Terreur. La Religieuseillustre l’anticléricalisme. Mais elle est surtout l’objet d’un débat esthétique sur sa vraisemblance d’une part (est-ce une satire ou la réalité ?), sur sa bienséance d’autre part, en raison de la mise en scène de l’homosexualité.

L’œuvre a donné lieu à beaucoup d’études sur sa genèse et sur ses apports au genre romanesque, notamment en parallèle avec Jacques le fataliste et son maître. Elle a également nourri des réflexions sur l’autobiographie. D’autre part, des études soulignent les thèmes féministes de l’œuvre.

Jacques Rivette décide d’adapter le roman au cinéma en 1962. Il se heurte à la censure pendant trois ans. Le tournage a finalement lieu en 1965 avec Anna Karina dans le rôle titre. Sa sortie est interdite sous la pression d’associations religieuses. Elle est finalement autorisée par Malraux, ministre de la culture sous le titre Suzanne Simonin, la religieuse de Diderot. Le cinéaste a déclaré s’inscrire dans le combat des femmes pour leur émancipation, plutôt que dans une perspective anticléricale (Cf. Suzanne Simonin ou la Religieuse : Jacques Rivette de Valérie Vignaux, Céfal, 2005.)

Bibliographie

D. Diderot, La Religieuse, Garnier-Flammarion.

LEPAPE Pierre, Diderot, Flammarion, 1991.

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[bio] Judith Butler

Judith Butler naît le 24 février 1956 à Cleveland (Ohio, USA) dans une famille juive.

butlerFormation à l’école des préjugés et des philosophes. Judith Butler se décrit comme une enfant indisciplinée et curieuse. Dans le documentaire français réalisé en 2006 par Paule Zadjermann, elle confie avoir été marquée par la volonté d’intégration de sa famille qui s’appliquait à se conformer à l’image hollywoodienne de la famille américaine. « Peut-être la théorie de Trouble dans le genre est-elle issue de mon effort pour comprendre comment ma famille incarnait les normes hollywoodiennes ou ne les incarnait pas. ». A l’adolescence, la découverte de son homosexualité a d’abord été un choc. Le regard porté par sa famille et la société sur son homosexualité constitue un autre élément déterminant dans l’évolution de sa pensée. A cela il faut ajouter sa découverte de la philosophie à 14 ans par l’intermédiaire de deux ouvrages trouvés dans la cave de ses parents. « Le premier, c’était Ou bien… Ou bien de Kierkegaard, et l’autre, l’Ethique de Spinoza. Je pensais qu’avec ces lectures, j’apprendrais à contrôler mes émotions adolescentes » (Interview à Libération, 28 mai 2005). Elle choisit plus tard des études de philosophie à Yale où elle soutient sa thèse en 1984, Subjects of Desire : Hegelian Reflections in Twentieth-Century France, publiée en 1987. Elle se tourne alors vers l’enseignement et la recherche. Elle enseigne dans les universités Wesleyan (Connecticut) et Johns Hopkins (Maryland) avant de décrocher la chair Maxine Eliot de rhétorique et de littérature comparée à Berkeley(Californie).

Recherches. Elle se fait connaître de ses pairs et des féministes en publiant en 1990 Gender Trouble (Trouble dans le genre) qui pose les jalons de sa théorie en matière de genre et de langage et renouvelle les débats dans ces deux domaines. Elle s’appuie sur les pensées de Beauvoir, d’Austin, de Derrida, de Foucault et de Lacan. Elle poursuit cette réflexion en 1993 dans Bodies That Matter : On the discursive limits of « Sex » (Ces corps qui comptent : de la matérialité et des limites discursives du « sexe » »), reprise critique de Gender Trouble, puis en 1997 dans The Psychic Life of Power : Theories of Subjection et Excitable Speech. Elle oriente ensuite ses recherches vers la philosophie morale. Dans Antigone’s claim : Kinship between Life and Death (Antigone : la parenté Entre Vie et Mort) en 2000, elle fait de l’héroïne de Sophocle une figure du trouble dans la parenté interrogeant la norme hétérosexuelle de la famille, issue d’une psychanalyse qui a préféré se construire autour d’Œdipe. En 2004 elle publie Precarious life : Powers of Violence and Mourning ainsi que Undoing gender (Défaire le genre) qui reprend les questions du genre, du sexe et de la sexualité en les ancrant dans l’actualité. En 2005 elle traite des limites de la connaissance de soi ainsi que la relation entre la construction du sujet et l’obligation éthique dans Giving an Account of oneself (Le récit de soi). Elle est élue membre de l’American philosophical society en 2007. Ses travaux les plus récents se concentrent sur la philosophie juive et les guerres aujourd’hui. En 2009 elle publie Frames of War : when Life is grievable. Elle espère pouvoir bientôt écrire un ouvrage sur les paraboles de Kafka.

Engagements. Judith Butler s’engage également dans les débats politiques contemporains en opposition au gouvernement Bush ou en faveur de la cause palestinienne. Elle est considérée comme une des principales porte-paroles du mouvement gay et lesbien. Elle milite en faveur du mariage homosexuel, de l’homoparentalité. Elle-même élève un garçon avec sa compagne Wendy Brown, professeure de philosophie politique. Malgré l’importance de son œuvre dans la théorie queer, elle ne se range pas parmi ce mouvement. Elle refuse en effet une séparation totale entre l’analyse du genre et l’analyse de la sexualité. Avant tout Judith Butler se définit comme une féministe : « I would say that I’m a feminist theorist before I’m a queer theorist or a gay and lesbian theorist. My commitments to feminism are probably my primary commitments. » (http://www.theory.org.uk/but-int1.htm).

Trouble dans le genre (Gender Trouble)

L’essai paraît aux Etats-Unis en 1990. Butler y soutient une thèse novatrice sur le genre : il est performatif, il n’a pas d’original. En matière de genre, il n’y a que des imitations. La philosophe illustre cette thèse par l’exemple du drag-queen (p.261) : « En imitant le genre, le drag révèle implicitement la structure imitative du genre lui-même ainsi que sa contingence ».

Réception et mauvaises interprétations. L’ouvrage connaît un grand retentissement. Il est pour beaucoup dans le développement des gender studies et de la théorie queer. Il est vendu à plus de 100 000 exemplaires dans le monde. Fayard a cependant refusé de le traduire au motif qu’il était « inassimilable » pour le public français. L’ouvrage ne paraîtra en France qu’en 2005, bénéficiant d’une forte reconnaissance des philosophes et des féministes.

Les thèses de l’ouvrage font dès sa parution l’objet de mauvaises interprétations obligeant l’auteure à des précisions dans Bodies That Matter : On the discursive limits of « Sex » (Ces corps qui comptent : de la matérialité et des limites discursives du « sexe » ») paru en 1993. La philosophe refuse l’interprétation volontariste de son œuvre et se défend contre ceux qui l’accusent de nier la matérialité du corps. Elle revient tout d’abord sur son exemple devenu célèbre du drag-queen qui a été élevé à tort au rang de paradigme : on ne change pas de genre comme on change de costume. Ensuite la philosophe reconnaît avoir écarté trop vite la catégorie du sexe et revient sur la place de la contrainte dans sa construction.

Portée féministe. Dans la philosophie féministe, l’ouvrage marque un tournant parfois qualifié de « poststructuraliste ». Il n’y a pas chez Butler de sujet fort. Elle remet donc en cause l’existence d’un sujet collectif du féminisme. « Nous avons été plusieurs à utiliser le post-structuralisme pour nous opposer aux politiques identitaires. Toutes les expériences humaines ne peuvent être réduites à notre seul statut de femme, d’autant que cette identité est floue et instable. » explique la philosophe à L’Express le 6 juin 2005.

Bibliographie

Trouble dans le genre, La Découverte, 2005.

Ces corps qui comptent, Amsterdam, 2009.

Antigone : la Parenté entre Vie et Mort, Epel, 2003.

Pour aller plus loin

http://rhetoric.berkeley.edu/faculty_bios/judith_butler.html
http://www.egs.edu/faculty/butler.html

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[bio] Mlle de Scudéry

ClélieMadeleine de Scudéry naît au Havre le 15 novembre 1607. Orpheline à six ans, elle est élevée par un des ses oncles, un ecclésiastique et reçoit une éducation érudite.

Au centre de la vie intellectuelle parisienne. Elle séjourne pour la première fois à Paris chez son frère en 1635 et s’y installe définitivement en 1638. En 1644 elle suivra son frère à Marseille, mais ils reviendront dans la capitale en 1647. Dès son premier séjour parisien, elle est reçue par Madame de Rambouillet qui tient le salon le plus en vogue dans le monde des lettres. A partir de 1651, Madeleine tiendra elle-même un salon réputé qui prend le relais de celui de Madame de Rambouillet qui meurt en 1659. Les « samedis de Mademoiselle de Scudéry » réunissent des personnalités comme la Rochefoucault, Chapelain, Pomponne ou Pellisson mais aussi des femmes de lettres comme Mesdames de Lafayette et de Sévigné. Christine de Suède y sera également reçue en 1656 et restera une correspondante fidèle de Madeleine de Scudéry. On s’y livre à des tournois politiques ou on y tient des conversations galantes et spirituelles, on critique les ouvrages et les spectacles à la mode. Les ouvrages de Madeleine de Scudéry permettent de se faire une idée de l’ambiance de ses samedis car ils mettent en scène ces conversations sur l’amour, l’amitié ou l’art. Madeleine de Scudéry surnommée Sappho joue le rôle d’animatrice, d’incitatrice et de muse. Elle incarne avec ses invités le courant précieux, et plus encore l’esprit d’une époque. La Fronde, événement politique majeur au milieu du siècle est fort présent dans son œuvre, de même que les préoccupations morales et artistiques de ses contemporains. Son influence sur la vie artistique et philosophique du temps est réelle. Elle témoigne également du retrait des femmes dans la sphère privée et pose la question du mariage, qu’elle refusera toujours. Elle est en 1671 la première femme à recevoir le prix de l’éloquence de l’Académie Française pour son Discours de la Gloire. Elle est également élue en 1684 sous le nom de l’Universelle à l’Académie Ricovrati de Padoue qui posait au XVIIème la question de la participation des femmes à la vie politique. Elle est reçue en audience particulière par Louis XIV en 1683 et il lui accorde une pension. En 1695, il fera frapper une médaille à son effigie.

Publications cachées. Madeleine de Scudéry ne publie pas ses romans sous son nom, mais sous celui de son frère George, auteur des Femmes illustres. Il s’agit de romans en plusieurs volumes qui cachent sous les personnages historiques ou de fiction des contemporains et où les rebondissements de l’intrigue sont prétextes à des conversations de qualité entre les personnages. Les deux plus célèbres sont Artamène ou le Grand Cyrus (1649-53) qui donnera à Scudéry son surnom de Sappho et Clélie, histoire romaine (1654-1660) qui contient la Carte du Tendre, métaphore du sentiment amoureux, passée depuis à la postérité. Elle abandonne le roman pour devenir moraliste, suivant ainsi l’évolution de son époque devenue critique à l’égard de la préciosité. Elle publie des Conversations en 1680 et1684 où elle traite de la politesse, de la galanterie, de la jalousie, de la raillerie et du discernement. En 1686 et en 1688, elle écrit de nouvelles conversations à la demande de Madame de Maintenon qui les destine aux maîtresses de Saint-Cyr.

Elle meurt le 2 juin 1701 à Paris. « Il sufit d’annoncer la mort de Damoiselle Madeleine de Scudéry, pour faire entendre par ce seul mot que la France vient de perdre un des plus grans ornemens qu’elle eût, & qu’elle aura jamais » dit l’éloge publiée par l’abbé Bosquillon dans le Journal des savans du mois de juillet de l’année 1701.

Clélie, histoire romaine.

Le roman comprend dix volumes publiés entre 1654 et 1660. Il raconte les amours de Clélie et Aronce, qui, après de nombreuses péripéties seront réunis. Le prétexte historique qui cadre leurs aventures est la guerre de Tarquin contre Rome, mais leurs aventures sont souvent l’occasion d’explorer les liens entre amour, amitié et tendresse. Plusieurs récits inscrits à l’intérieur du récit principal (ou récits enchâssés) le permettent.

L’œuvre suscite l’engouement des contemporains qui s’amusent à reconnaître les personnages réels derrière les figures de fiction et apprécient la profondeur des discussions. Cependant Clélie n’est pas épargnée par la critique montante dont fait l’objet la préciosité à cette époque.

Le roman, victime du procès fait à la préciosité et des changements de goûts, passe ensuite à l’oubli. La Carte du Tendre, représentation topographique et allégorique de l’amour, lui garantit cependant la postérité. Cette carte continue de figurer dans les manuels d’histoire littéraire et à illustrer la préciosité. Il est bien sûr très réducteur de ne retenir de Clélie que cette carte et d’y résumer, a fortiori, toute la préciosité : en 2006, Delphine Denis redonne une chance au roman et à Mademoiselle de Scudéry en publiant une version abrégée en poche de l’œuvre.

Bibliographie

Clélie, histoire romaine, Gallimard, édition de Delphine Denis, 2006.

Pour aller plus loin

http://www.bibliotheque-mazarine.fr/exposcudery/exposcudery1.htm

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[bio] Mme de Sévigné

sevigneMarie de Rabutin- Chantal naît à Paris le 5 février 1626.

Une éducation moderne. Orpheline très tôt – son père meurt quand elle a dix-huit mois, et sa mère quand elle a six ans, elle décrit cependant sa jeunesse comme heureuse. Elle sera élevée d’abord par ses grands-parents maternels puis par son oncle maternel Philippe de Coulanges, abbé de Livry. Elle reçoit une éducation moderne, sans latin ni rhétorique, mais apprend l’espagnol et l’italien. Elle devient une jeune fille spirituelle et séduisante, en plus d’une héritière solidement dotée.

Une brève expérience conjugale sans succès. Elle épouse à 18 ans le marquis de Sévigné, issu d’une vieille noblesse de Bretagne. Elle lui donnera deux enfants Françoise en 1646 et Charles en 1648. Il n’y a pas d’amour entre les deux époux et le marquis de Sévigné non seulement trompe sa femme mais se compromet dans ses affaires galantes. A la suite de l’une d’elle, il est tué dans un duel le 4 février 1651 par le chevalier d’Albret. Madame de Sévigné se retrouve veuve à vingt-cinq ans et prend le deuil. Elle passe quelques mois sur les terres de son mari, les Rochers, puis revient à Paris où elle vivra ordinairement jusqu’à sa mort, mis à part des voyages. Elle paraît à la Cour depuis sa jeunesse, mais ses relations avec Louis XIV ont toujours été quelque peu tendues. Son mari a soutenu les conjurés lors de la Fronde, elle est amie avec des hommes en disgrâce, Bussy et Foucquet ; elle interdit que sa fille devienne favorite

Amitiés. Madame de Sévigné fréquente l’hôtel de Rambouillet, puis le salon de Madeleine de Scudéry. Elle est bien entourée, notamment par Madame de Lafayette, La Rochefoucauld ou Pomponne. Très courtisée, surtout après la mort de son époux, elle ne cède à aucun de ses prétendants mais conserve avec eux des liens d’amitié. Parmi ces soupirants éconduits devenus amis fidèles, on compte son cousin Bussy et le surintendant Foucquet. Tous les deux vont placer la marquise dans un scandale. Bussy, tout d’abord, reproche à sa cousine de ne pas lui avancer une somme sur un héritage commun et se brouille avec elle en 1658. Il publie un portrait acide de sa cousine dans un roman à scandales. Plus grave est cependant le scandale dans lequel l’entraîne Foucquet. Après l’arrestation du surintendant à Nantes en 1661, sa correspondance est rendue publique. La rumeur d’une liaison avec la marquise de Sévigné circule à Paris et à la Cour. Bussy défendra sa cousine et se réconciliera ainsi avec elle. De plus, le Roi lit les lettres de la marquise : elle lui révèle son intégrité morale, mais surtout elles lui plaisent esthétiquement.

Un amour maternel déçu à la base d’une carrière littéraire. Madame de Sévigné a toujours écrit des lettres. C’est un moyen de communication habituel à l’époque. Mais ses premiers correspondants, parents ou amis, n’ont pas juger nécessaires de garder ses lettres, dont le but était seulement de communiquer. Madame de Sévigné elle-même ne confie-t-elle pas en 1649 qu’ »une heure de conversation vaut mieux que cinquante lettres »? (Chère Madame de Sévigné, R. Duchêne, p.48) C’est le départ de sa fille qui va opérer un tournant et faire des lettres de Madame de Sévigné des œuvres littéraires. Françoise de Sévigné, qui a toujours, hormis un bref séjour à la Visitation de Nantes, été élevée auprès de sa mère, doit en 1671 suivre son mari, le comte de Grignan, en Provence et quitter par conséquent sa mère. Celle-ci en est fortement affectée et se met à écrire régulièrement pour se consoler non seulement de l’absence de sa fille, mais de ce qu’elle appelle sa « froideur ». Madame de Grignan en effet ne semble pas retourner cette affection exclusive que sa mère lui porte, au point de la préférer dans son testament. Sur les 1120 lettres de Madame de Sévigné recensées aujourd’hui, 764 (soit 68%) s’adressent à sa fille.

Madame de Sévigné meurt à Grignan le 17 avril 1696.

Lettres

Une aventure éditoriale. Les lettres de Madame de Sévigné n’ont pas été publiées de son vivant. Certaines ont circulées, remarquées pour leur style et leur contenu. En 1697, ses réponses à des lettres de Bussy paraissent dans la correspondance de celui-ci. En 1725, quelques extraits de lettres à Madame de Grignan sont édités dans une plaquette. Deux volumes paraissent l’année suivante sous le patronage de la petite-fille de la marquise : il s’agit en fait de copies subreptices des lettres de la marquise réalisées par le fils ainé de Bussy. La petite-fille, Pauline de Simiane, fille de Madame de Grignan, vexée de l’utilisation abusive de son nom, confie alors à Denis-Marius Perrin la réalisation d’une édition officielle. Il publie ainsi 614 lettres en 1734 et 772 en 1754. Il s’agit de lettres tronquées par Pauline et remaniées par l’éditeur qui se pose pratiquement en co-auteur. En 1818 et en 1862, Monmerqué essaye de revenir aux originaux ; mais cela n’est vraiment possible que grâce à la découverte en 1873 par Capmas, un antiquaire, d’un lot de copies manuscrites. Ce manuscrit ne paraît intégralement qu’en 1953 dans la Pleiade (édition de Gérard Gailly), puis en 1973 (édition de Roger Duchêne).

Des textes estimés. Trois raisons ont porté à publier les lettres de Madame de Sévigné et à la distinguer ainsi de ses contemporains, qui eux aussi s’écrivaient. Les lettres de Madame de Sévigné :

* Constituent un témoignage historique sur les mœurs, mais aussi les événements historiques. L’historien peut par exemple y trouver des éléments sur les campagnes de Louis XIV, l’affaire des poisons, la vie à la Cour…
* Sont une œuvre moraliste. Mme de Sévigné sait remarquer les effets et les signes des caractères.
* Sont une œuvre littéraire. Mme de Sévigné sait imaginer et rendre. Son style est original et constitue une véritable création.

Bibliographie

Madame de Sévigné, Lettres, Garnier-Flammarion, 2006.

Duchêne Roger, Chère Madame de Sévigné, Découvertes Gallimard, 1995.

Bernet Anne, Madame de Sévigné, mère passion, Perrin, 2009.

Pour aller plus loin

http://agora.qc.ca/mot.nsf/Dossiers/Mme_de_Sevigne
http://www.alalettre.com/sevigne-oeuvres-lettres.php

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[bio] Immanuel Kant

kantImmanuel Kant naît le 22 avril 1724 à Königsberg dans une famille modeste. Il est le second de six enfants.

Formation. En 1732 après avoir appris à lire, écrire et compter dans une école de charité, il entre à l’Académie Royale et poursuit des études universitaires à Königsberg entre 1740 et 1746. Sa première œuvre date de 1746 et porte sur l’évaluation des forces vives. Elle relève à la fois des mathématiques et de la philosophie. Il devient précepteur dans différentes familles et donne des conférences privées. A cette occasion il est amené à sortir de Königsberg qu’il ne quittera plus une fois trouvé un emploi stable.

Professeur. En 1770, il se voit proposer un poste à l’université de Königsberg. Il occupe dans un premier temps la chair de mathématiques qu’il échange très vite contre celle de logique et métaphysique. Il enseignera jusqu’en 1796 à l’université. Il mène une vie solitaire et sédentaire consacré à l’étude. La légende veut qu’il n’ait modifié que deux fois le déroulement de sa journée : lors de la lecture de l’Emile de Rousseau et lors de l’annonce de la Révolution française. Il est respecté de ses étudiants et de ses confrères. Le philosophe Herder, un ancien lève, loue la vivacité de sa pédagogie : « Son cours ex cathedra était comme la plus passionnante des conversations. ».

La philosophie critique. Son entrée à l’université coïncide avec un tournant dans sa pensée. Jusqu’ici proche de Leibniz et Wolff, il va s’en démarquer et développer sa propre pensée. Il qualifie son entreprise de critique : il examine les pouvoirs de la raison et le domaine de leur exercice. Il se démarque des pensées de son temps par ce qu’il nomme  une « révolution copernicienne » : le sujet devient le centre de la connaissance à la place de l’objet. Il en résulte une condamnation de la métaphysique qui transforme des idées (Dieu, immortalité de l’âme…) en objets de connaissance, penchant naturel à combattre. La métaphysique doit se détourner de ces objets pour se tourner vers la morale. La critique de la raison pure paraît en 1781. L’œuvre est considérée comme l’acte de naissance du criticisme. La Critique de la raison pratique paraît en 1790 et la Critique de la faculté de juger en 1788. Madame de Staël dans De l’Allemagne résume ainsi l’entreprise de Kant en opposition au matérialisme : « Kant voulut rétablir les vérités primitives et l’activité spontanée de l’âme, la conscience dans la morale, et l’idéal dans les arts ».

L’anthropologie pragmatique. Dans son cours de logique publié en 1800 par Jäsche, Kant résume l’entreprise philosophique à quatre questions : 1) Que puis-je savoir ? 2) Que dois-je faire ? 3) Que m’est-il permis d’espérer ? 4) Qu’est-ce que l’homme ? La philosophie critique entreprend de répondre aux trois premières questions, mais la dernière relève de l’anthropologie.  Il faut cependant garder une vue d’ensemble car « les trois premières questions se rapportent à la dernière ». L’originalité de l’anthropologie kantienne est d’être pragmatique et non spéculative : elle est séparée de la métaphysique et cherche à déterminer la nature humaine intemporelle. C’est dans cette partie de la philosophie kantienne que l’on trouve les considérations sur les sexes : Anthropologie d’un point de vue pragmatique (1798); Métaphysique des mœurs (1797). ( Cf. Les Femmes de Platon à Derrida -anthologie de Françoise Collin, Evelyne Pisier et  Eleni Varikas- p. 356).

Kant meurt en 1804 à Königsberg. Son œuvre aura une influence considérable sur l’histoire des idées.

Sur la différence des sexes

Du vivant de Kant déjà, ses anciens élèves ont publié leurs notes de cours. Le philosophe lui-même s’est appuyé sur des notes d’étudiants pour rédiger son dernier ouvrage édité de son vivant Anthropologie d’un point de vue pragmatique (1798). Sept cahiers de notes de cours ont été à ce jour édités et la recherche de manuscrits n’est pas achevée.

Dans le manuscrit attribué à Friedländer se trouve un texte sur la différence des sexes. Kant y soutient un point de vue en accord avec son temps sur la répartition des rôles entre les hommes et les femmes. Il justifie cette répartition par la différence physique entre les deux sexes. Il déduit une complémentarité des rôles au sein de la société de la complémentarité des sexes dans la reproduction, seul but de la sexualité selon lui. D’autre part il voit dans le mariage la fin de la femme et le moyen d’y acquérir une position sociale. “C’est par le mariage que les femmes acquièrent leur valeur”.

Cette pensée a certes peu influencé les féministes, mais a alimenté un positionnement sexiste chez les philosophes. On peut cependant remarquer que la position kantienne sur la sexualité – comme quoi toute relation sexuelle chosifie le partenaire – développée dans la Métaphysique des mœurs, est parfois repris pour condamner la pornographie ou la prostitution.

Pour aller plus loin

DE QUINCEY Thomas, Les derniers jours d’Emmanuel Kant, Mille et une nuits, 1996 [1897].

PHILOMENKO Alexis, L’œuvre de Kant, Vrin 1981.

http://agora.qc.ca/mot.nsf/Dossiers/Emmanuel_Kant

Bibliographie

KANT, Sur la différence des sexes, Payot et Rivages, 2006.

KANT, Qu’est-ce que les Lumières ?, GF Flammarion, 1991.

KANT, Métaphysique des mœurs, tome II, GF Flammarion, 1994.

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[bio] Pierre Bourdieu

pierre bourdieuPierre Bourdieu naît en 1930 à Denguin dans les Pyrénées-Atlantique.

De la philosophie à la sociologie.  Interne au lycée Louis-Barthou de Pau, Bourdieu est un bon élève, admis après son baccalauréat en classe préparatoire littéraire à Louis-le-Grand à Paris en 1948 puis à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm. Il choisit la philosophie comme dominante mais s’inscrit contre les courants « dominants » à l’époque en s’intéressant à la philosophie de l’histoire et à l’épistémologie enseignée par Bachelard et Canguilhem. Il soutient en 1953 un mémoire sur les Animadversiones de Leibniz sous la direction d’Henri Gouhier et obtient l’année suivante l’agrégation de philosophie. Il décide alors de soutenir une thèse sous la direction de Canguilhem tout en enseignant au lycée de Moulins. En 1955, il est rappelé à ses obligations militaires. D’abord affecté au service psychologique des armées à Versailles, il est muté, sans doute pour des raisons disciplinaires, en Algérie pour deux ans à l’issue desquelles il abandonne sa thèse. Il souhaite en effet poursuivre ses études en Algérie et occupe de 1958 à 1960 un poste d’assistant à la Faculté des Lettres d’Alger. Cette période algérienne va le tourner vers la sociologie. Il conduit plusieurs séries de travaux qui conduisent à l’écriture de plusieurs ouvrages : Sociologie de l’Algérie ; Travail et travailleurs algériens en collaboration avec Alain Darbel, Jean-Paul Rivet et Claude Seibel ; Le Déracinement en collaboration avec Abdelmalek Sayad. Même lorsqu’il ne l’étudie pas directement, l’Algérie reste présente dans son œuvre. Ainsi en 1998 dans la Domination masculine, il propose une analyse des mécanismes de reproduction de la domination masculine dans la société kabyle traditionnelle.

Il épouse en 1962 Marie-Claire Brisard avec laquelle il a trois enfants. Il s’installe avec sa famille à Antony et entame une carrière de sociologue, universitaire et chercheur.

Une carrière prestigieuse. Il intègre en 1964 l’Ecole des Hautes Etudes en sciences sociales et publie les Héritiers en collaboration avec Jean-Claude Passeron. L’ouvrage rencontre un grand succès et met Bourdieu sur le devant de la scène sociologique française. L’année suivant paraît Un Art moyen qui inaugure une série de travaux portant sur les pratiques culturelles : L’amour de l’Art en 1966, La Distinction : critique sociale du jugement. En 1968 il prend position dans les mouvements sociaux et rompt avec Raymond Aron. Il fonde le Centre de Sociologie de l’éducation et de la culture et publie en collaboration avec jean-Claude Passeron et Jean-Claude Chamboredon Le Métier de Sociologue. Ses concepts (habitus, champs, violence symbolique) et son projet de dépasser les oppositions conceptuelles fondatrices de la sociologie, notamment entre structuralisme et constructivisme, interpellent et séduisent par les avancées qu’ils permettent. Dans les années 1970 les travaux de Bourdieu commencent à gagner une reconnaissance internationale, dans le monde anglo-saxon tout d’abord, puis au Japon et en Allemagne. Il devient professeur du Collège de France en 1981, puis en 1985 directeur du Centre de sociologie européenne. Le CNRS lui accorde la médaille d’or en 1993 ; c’est la première fois que le centre prime un sociologue.

Editeur. En parallèle à cette carrière, Pierre Bourdieu conduit des travaux d’édition. En 1964, il devient directeur de la collection le sens commun aux Editions de Minuit. En 1992, il met fin à cette collaboration au profit du Seuil.  Ce travail d’éditeur lui permet de publier ses livres et ceux de ses élèves ou collaborateurs ainsi que des classiques de la philosophie ou des sciences sociales qui ont joué un rôle dans la construction de sa pensée. Il crée également en 1975 la revue Actes de la recherche en sciences sociales qu’il dirigera jusqu’à sa mort. Il y rend compte de ses travaux et de ceux de ses élèves. Cette revue innove par sa mise en page, son format et l’importance accordée aux illustrations.  En 1995, il crée une maison d’édition, Raisons d’agir, qui publient des travaux critiquant le néolibéralisme.

Engagement et controverses. A partir des années 1980, Bourdieu s’implique dans la vie publique et devient à partir de 1990 une figure médiatique qui s’engage dans tous les conflits en dénonçant le néolibéralisme et le désengagement de l’Etat. Il devient alors une des figures du mouvement altermondialiste qui se met alors en place.  Ses interventions et ses prises de position se retrouvent dans Contre-feux et la Misère du monde. Son engagement lui vaut une grande renommée dépassant largement le milieu universitaire mais il est également l’objet de vives critiques et l’objet de controverses.

Il meurt le 23 janvier 2002 à l’hôpital Saint Antoine à Paris. Il laisse un ouvrage inachevé sur le peintre Edgar Manet.

La domination masculine

Rédaction. L’ouvrage paraît en 1998 au moment du débat sur la parité hommes/ femmes en politique.  Bourdieu y soutient que « Le monde social construit le corps comme réalité sexuée et comme dépositaire de principes de vision et de division sexuants ». On justifie la différence des sexes par le biologique, mais en fait, c’est l’inverse : c’est le social qui construit le biologique. Les femmes adhèrent à ce phénomène : « La violence symbolique s’institue par l’intermédiaire de l’adhésion que le dominé ne peut ne pas accorder au dominant (donc à la domination) » ; Bourdieu renvoie dos à dos les courants féministes : ils ignorent l’effet de structure et les limites de la conscience. Il faut pour changer les choses en profondeur reconnaître que la volonté des sujets est insuffisante car l’inégalité des sexes relève de l’habitus.

Réception de l’œuvre. La domination masculine obtient dès sa sortie un succès populaire et médiatique. Chez les féministes par contre, la réaction est mitigée. En 1999, Beate Kras, Marie Duru-Bellat, Michelle Perrot et Yves Sintomer publient une réponse à Bourdieu dans Travail, genre et sociétés. Ils reprochent à l’ouvrage d’apporter peu aux travaux des chercheurs féministes et surtout de les ignorer. De plus ils reprochent à Bourdieu une erreur méthodologique : il oublie sa position de dominant.

Bibliographie

La domination masculine, Points seuil, 1998.

Pour aller plus loin

http://www.monde-diplomatique.fr/dossiers/bourdieu/

http://www.mouvements.info/La-critique-feministe-et-La.html

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[bio] Elisabeth Badinter

badinter_elisabethElisabeth Badinter naît Bleustein-Blanchet le 5 mars 1944 à Boulogne-Billancourt (92), est  mariée et mère de trois enfants.

Une philosophe spécialiste du XVIIIème siècle. Agrégée de philosophie, Elisabeth Badinter a été maître des conférences à l’Ecole polytechnique et a publié de nombreux ouvrages sur le siècle des Lumières. Elle s’est notamment intéressée à Condorcet (Condorcet, un intellectuel en politique, 1988) à Mmes du Châtelet et d’Epinay (Emilie, Emilie, 1983) dont elle a préfacé certains ouvrages. Elle est aussi l’auteure d’une histoire du siècle des Lumières en 3 tomes : Les Passions intellectuelles parues entre 1999 et 2007.

Une féministe controversée. Elisabeth Badinter se considère féministe. En 1980 dans L’Amour en plus : histoire de l’amour maternel, elle dénonce le préjugé selon lequel il existerait un instinct maternel. C’est un de ses arguments majeurs pour se prononcer en faveur de la gestation pour autrui. Elle défend la thèse de la ressemblance entre les hommes et les femmes et soutient que toutes les politiques de la différence sont source de discrimination et d’inégalité. En vertu de cette conception, elle défend la laïcité républicaine, s’est opposée au port du voile à l’école et à la loi sur la parité, arguant que les femmes pouvaient réussir par elle-même. Quand, en juin 2008, un mariage est annulé par le parquet de Lille parce que l’épouse a menti sur sa virginité, elle s’est indignée : « La sexualité des femmes et une affaire privée et libre ». Cependant elle est controversée au sein des féministes qui ne partagent pas toutes sa vision de la féminité et des relations entre les deux sexes. Cela est particulièrement visible lors de la parution de son essai Fausse route en 2003.

Une héritière engagée. Elisabeth Badinter est présidente du conseil de surveillance de Publicis depuis 1996. Elle est également la deuxième actionnaire du groupe, elle a hérité ses parts de son père, fondateur du groupe. Elle figure parmi les 500 premières fortunes de France. Elle est également membre du comité de parrainage de la Coordination Française pour la décennie de la culture, de la paix et de la non violence.

Fausse route

Rédaction. L’essai paraît en 2003. Elisabeth Badinter y soutient la thèse selon laquelle le féminisme français des années 60-70 a fait fausse route en suivant des influences américaines qui l’ont conduit à poser les femmes en éternelles victimes de la domination masculine et en éternelles ennemies du sexe prétendu fort. Elle regrette que l’on ignore systématiquement le pouvoir et la puissance des femmes et regrette que l’on manipule les statistiques pour en faire des victimes. Elle regrette également que le législateur suive cette tendance.

Réception. L’essai a fait l’objet de réactions opposées. La presse loue le courage de Badinter, tandis que beaucoup de féministes l’accusent de trahison. Elles reprochent à Badinter la partialité et la légèreté de ses sources. Il semble que ce que Badinter appelle « féminisme » est en fait une caricature d’un courant féministe américain et qu’elle ignore la diversité des mouvements et de leurs actions. Les féministes lui reproche également de relayer des arguments antiféministes et de céder à des critiques faciles.

Bibliographie sélective

Fausse route, Odile Jacob, 2003.

Pour aller plus loin

Élisabeth Badinter dénature le féminisme pour mieux le combattre (par Élaine Audet, Sysiphe, 29 septembre 2003)

La réaction des Chiennes de garde (25 mai 2003)

Un féminisme bien tempéré (par Arnaud Spire, L’Humanité, 28 mai 2003)

Un article de Marie-Pierre Tachet sur le dernier ouvrage d’E. Badinter, Le conflit

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[bio] Marcela Iacub

MIMarcela Iacub naît en 1964 à Buenos Aires. Elle est mariée au philosophe Patrice Maniglier et déclare n’avoir jamais désiré d’enfants.

Une juriste du corps. Elle suit des études de droit et devient en 1985 la plus jeune avocate du barreau de Buenos Aires, spécialisée dans le droit du travail. Elle refuse de rejoindre le cabinet de son père. En 1989, grâce à une bourse d’études, elle vient vivre à Paris, étudie à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) et se spécialise dans l’histoire juridique du corps, vaste sujet qui l’amène à s’interroger sur des questions bioéthiques, féministes ou morales. Après un mémoire de DEA dirigé par Yan Thomas, elle s’engage dans une thèse de doctorat sous la direction du professeur Antoine Lyon-Caen.

Une chercheuse polémiste et sujet de polémique. Elle devient ensuite chercheuse au CNRS et membre associée au Centre d’étude des normes juridiques de l’EHESS. Elle a publié trois essais en 2002 (Le crime était presque sexuel et autres essais de casuistique juridique, Penser les droits de la naissance Qu’avez-vous fait de la libération sexuelle ?) puis en 2004, L’Empire du ventre ; et en 2005 en collaboration avec son mari Antimanuel d’éducation sexuelle. Elle a ensuite exprimé ses idées par le biais de la fiction avec Aimer tue en 2005 et Une journée dans la vie de Lionel Jospin en 2006. Elle retrouve l’essai en 2008 pour exposer son travail sur la pudeur, Par le trou de la serrure. Une histoire de la pudeur publique, XIX-XXIe siècle. Ses positions sur le droit à la prostitution, l’adoption par les homosexuels ou la gestation pour autrui dérangent d’autant plus qu’elles s’appuient sur l’analyse précise de cas juridiques. Ses ouvrages et ses interventions sont toujours fortement médiatisés et sonnent souvent comme une provocation volontaire. Dans ces articles, notamment dans la chronique qu’elle tient dans Libération (textes regroupés en 2005 dans Bêtes et victimes et autres chroniques de Libération chez Stock), elle choisit les mots qui choquent. Parmi ses pairs on lui reproche d’être trop bruyante.

Une féministe controversée. Marcela Iacub se définit comme féministe, mais elle critique le féminisme français qu’elle juge trop moralisateur car il demande toujours une extension de la répression pénale. « Le féminisme français s’est compromis, perdu. Il ne rend plus service aux femmes. Au contraire, il les victimise et les enferme dans leurs spécificités.» écrit-elle dans Qu’avez-vous fait de la libération sexuelle ? Elle s’attire ainsi les foudres de tout un courant féministe qui lui reproche de nier les crimes faits aux femmes et de vouloir obliger les femmes à se taire.

L’empire du ventre

L’essai paraît en 2004. Il part du constat que la maternité et la paternité loin d’être naturels sont des relations juridiques. Pour être père ou mère, il faut remplir les conditions qu’exige le droit. Celles-ci varient d’ailleurs en fonction des pays et des époques. Ce n’est que récemment en France qu’on en est arrivé à la définition de la maternité par l’accouchement. On a loué cela comme un progrès et on a décrié le code Napoléon qui faisait l’apologie du mariage et du père de famille. Cependant c’était aussi le triomphe de la volonté sur la nature d’où la possibilité de supposer ou de substituer un enfant à condition de l’élever comme son enfant et dans le cadre du mariage. Aujourd’hui les femmes ont perdu la liberté de devenir mère sans accoucher et l’ouvrage essaye d’expliquer pourquoi.

Réception. L’essai a fait l’objet de réactions opposées. Loué comme une avancée dans la lutte pour la libération des femmes par les uns, hué comme un réquisitoire contre la grossesse par les autres, il n’a peut-être pas reçu la place qu’il méritait dans le débat sur la gestation pour autrui.

Bibliographie sélective

L’empire du ventre, Fayard, 2004.

Pour aller plus loin :

http://endehors.org/news/marcella-iacub-et-le-feminisme-libertaire

http://www.editions-fayard.fr/auteur/fayard-auteur-000000032517-iacub-marcela-biographie-bibliographie.html

http://hebdo.nouvelobs.com/hebdo/parution/p2088/articles/a255137-qui_a_peur_de_marcela_iacub.html