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[club] C. Gilligan, In a different voice – Les limites de l’éthique du « care »

[photopress:infirmiere03_cpa_03221_stelme.jpg,thumb,pp_image]Pour conclure, voici le témoignage d’une femme sur sa perception d’elle-même :

As a woman, I feel I never understood that I was a person, that I could make decisions and I had a right to make decisions. I always felt that I belonged to my father or my husband in some way, or church, which was always represented by a male clergyman. (..) I still let things happen to me rather than make them happen, than make choices, although I know all about choices.

La peur de faire du mal à autrui peut totalement inhiber la capacité de se décider à agir : telle est l’une des impasses de l’éthique du care. Une autre de ces impasses, c’est que cette éthique considère la souffrance d’autrui comme ayant une valeur absolue, qu’elle ne peut remettre en cause. Il arrive que certaines personnes souffrent « abusivement », pour de mauvaises raisons (voir le cas des parents qui interdisent à leur fille de partir étudier à l’autre bout du pays parce que son absence leur ferait trop de peine), ou bien que certaines souffrances soient nécessaires (en l’occurence, celle de l’absence et de la séparation parent/enfant). L’idéal n’est pas l’absence de toute souffrance : souffrir, c’est éprouver la réalité, se mettre en position de connaîre la vérité. Dépasser la souffrance, c’est apprendre à accepter cette vérité.

L’éthique du « care » est donc une morale négative (elle définit avant tout ce qu’il ne faut pas faire), de l’évitement (du conflit, de l’acte) : elle présente donc, en ce sens, un certain nombre de limites qui la pose comme trop souvent inadapté au monde réel. Il s’agirait plus d’une éthique idéale que d’une éthique lucide.

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[club] Pierre Bourdieu – La domination masculine : Séduction et sentiment amoureux

[photopress:Nana.jpg,thumb,pp_image]Nous avons précédemment parlé, dans ce bookclub, de la séduction féminine comme d’un renversement des rapports de force entre homme et femme : dans les romans et les films mettant en scène une « femme fatale », Nana de Zola par exemple, l’homme est renvoyé à l’état d’être faible et dominé, et non plus d’être fort et dominant. Bourdieu, lui, voit dans l’attitude de séduction féminine une reconnaissance de la domination masculine : chercher à soumettre l’homme par la séduction, ce serait reconnaître sa domination et s’y plier, car chercher à lui plaire. Or la séduction joue justement ce jeu au second degré, pour le renverser sans en avoir l’air : il s’agit de vaincre l’adversaire en lui laissant croire qu’il domine. Il s’agit d’un renversement subtil, non frontal, des rapports de force, mais en aucun cas d’une soumission à une telle « violence symbolique ».

Quant à l’amour, Bourdieu y voit la seule possibilité de suspension du rapport de domination : or cela va, d’abord, à l’encontre de ce qu’il dit de la manière dont ce jeu de domination influe sur le choix du partenaire (sur le fait que les femmes sont plus attirées par des hommes plus grands ou plus âgés qu’elles, par ex.) ; cela relève, ensuite, d’une vision peut-être un peu trop lyrique de l’amour-passion. Dans toute relation humaine existe un rapport de domination, constamment remis en question et réévalué : la domination masculine en est un type, le couple en présente d’autres. Cela ne signifie pas que, dans le couple, les individus ne seraient plus homme et femme, seulement qu’ils le sont autrement – ce qui semble autoriser à concevoir plusieurs définitions des rôles féminins et masculins selon les situations.

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[critique] 1973-2008 : Du côté des petites filles…

[photopress:Shu_Belotti_cote_petites_filles.jpg,thumb,pp_image]En 1973, Elena Gianni Belotti publie une étude absolument novatrice tant par son sujet que par ses conclusions. Elle entend montrer que la différence sexuelle n’a rien d’inné mais qu’elle est construite dans les premières années de l’enfant, et même in utero, par les comportements des adultes, comportements qui varient en fonction du sexe de l’enfant et visent ainsi à faire se conformer le caractère et les actions des enfants aux stéréotypes de leur genre (petites filles sages, petits garçons actifs, petites filles maternelles, petits garçons courageux etc.). Ainsi un garçon passif sera incité à l’action, quand une petite fille passive sera encouragée dans cette voix…
Dans Quoi de neuf chez les filles ?, les sociologues Baudelot et Establet se proposent de se demander ce qui a changé depuis 1973. Ils se montrent plutôt optimistes, la société ayant en effet évolué depuis : aujourd’hui, les filles réussissent mieux à l’école, font des études, travaillent. Les parents ne sont plus aussi désireux d’avoir un garçon.
Mais les filles doivent faire face à des inégalités dans le monde du travail, et des stéréotypes demeurent. Les causes de ces inégalités et de ces stéréotypes ne sont pas clairement identifiées. Les sociologues refusent l’engagement clairement féministe de Belotti. Je trouve qu’implicitement ils donnent l’impression qu’il y aurait une différence irréductible entre les sexes et refusent la distinction entre le sexe et le genre…
Au détour du chapitre V, ils lancent une idée intéressante: partant de la remarque que garçons et filles ont maintenant leur premier rapport au même âge, ils s’interrogent sur la signification de cette réduction d’écart et notent que ce n’est peut-être moins le signe de l’émancipation des filles que celui d’un alignement sur le modèle masculin dominant… Cela m’a tout suite fait penser à Belotti: elle explique que les parents acceptent davantage que les filles se comportent comme des garçons, et c’est en effet cette tendance qui s’est accentuée comme le remarque Baudelot et Establet (on habille les filles en bleues, mais pas les garçons en rose…) : les femmes se sont mis à travailler comme les hommes, mais pas les hommes a faire les tâches ménagères des femmes…Or Belotti met en garde contre cette « masculinisation » des filles, cette tendance participant en effet à la dévalorisation de tout ce qui peut être féminin… Ainsi encourage-t-elle à développer l’affectivité des garçons (p. 67, éd. des femmes).
C’est cette idée qu’exploitent les féministes communautaristes en prônant la spécificité des femmes, en valorisant les qualités féminines… Nous en reparlerons sûrement avec Carol Giligan.
J’ai, pour ma part, tendance à me mettre du point de vue de l’individu… et pense ainsi que si des femmes ont voulu « faire comme les hommes » en matière de travail et de pensée, c’est parce que cela leur paraissait plus intéressant… Plus intéressant de disserter sur Descartes, d’écrire des poèmes ou de diriger une entreprise que de laver la vaisselle et passer l’aspirateur… Maintenant il ne me paraît pas impossible de préférer le contraire, et à mon avis il y a aussi des hommes dans ce cas. Donc, oui, développons l’affectivité des garçons pour leur permettre de choisir ce qui leur plaît et de ne pas être enfermé dans un stéréotype (mâle = viril = …).
Au final, je retrouve Butler : il y a des femmes avec des caractères masculins, des hommes avec des caractères féminins….

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[club] Luce Irigaray – Ethique de la différence sexuelle : Lieu sans lieu

[photopress:vide.jpg,thumb,pp_image]Je voulais enfin revenir sur l’idée, étrange à mon sens, que la femme n’aurait pas de lieu, contrairement à l’homme dont la femme serait le lieu car le réceptacle. Et sur l’idée que l’homme cherche à habiter quand la femme se contente de percevoir.

Je rejoins ici ce que tu dis des présupposés d’Irigaray : je ne vois pas où elle va chercher de telles thèses ! Dès qu’il s’agit d’assigner à l’un ou l’autre sexe des particularités exclusives, le raisonnement achoppe nécessairement sur des exception ; la raison en est que l’identité sexuelle est beaucoup plus complexe et nuancée que le ralliement à un ensemble de valeurs et de comportements pré-définis. La féminité, comme la virilité, sont des inventions, des créations et ajustements perpétuels : je me rallie ici à Butler qui y voit des rôles que chacun peut interpréter différemment.

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[club] Luce Irigaray – Ethique de la différence sexuelle : Un point biographique

[photopress:PIERO_DELLA_FRANCESCA.jpg,thumb,pp_image]Luce Irigaray a participé au Séminaire de Lacan ; elle a ainsi été la psychanalyste d’Antoinette Fouque, co-fondatrice des éditions des femmes et militante au MLF (Mouvement de libération des femmes). Ayant rencontré quelques membres de l’équipe éditoriale des éditions il y a quelques mois, il s’avère en effet que la conception de la femme qui y prime est celle d’une différence sexuée affirmée : la femme diffère de l’homme, elle a sa singularité, sa richesse, ses particularités irréductibles à tout universalisme, et l’adoption unilatérale du point de vue masculin est, à ce titre, scandaleuse et méprisante.

Je ne partage pas, encore une fois, cette vision des choses. Mais il m’a tout de même semblé intéressant d’être au fait de ce courant du féminisme, naviguant entre psychanalyse et linguistique, et lorgnant plus du côté de l’interprétation libre des faits et des textes que d’une étude scrupuleuse de leur portée.

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[club] Luce Irigaray – Ethique de la différence sexuelle : Un vaste chantier

[photopress:Eros_et_Aphrodite.jpg,thumb,pp_image]Il m’a semblé au fil de la lecture que cet ouvrage n’apporte aucune solution mais ouvre un vaste chantier : comme la différence sexuelle n’a pas encore été pensée et qu’elle est insurmontable, il faut recommencer toute l’œuvre des sciences. En effet, elle a alors été écrite par l’homme pour un sujet supposé universel et neutre, mais en fait masculin (on a cette idée chez Moller Okin et Buttler aussi).

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[club] Luce Irigaray – Ethique de la différence sexuelle : Autres difficultés

[photopress:8_mars_80_les_luttes_des_fs_n_ont_pas_de_frontiere.jpg,thumb,pp_image]J’ai éprouvé beaucoup de difficultés à lire cet ouvrage car il me semblait parfois plein de présupposés. Par exemple, quand elle évoque l’homosexualité entre les pages 100 et 110 : son analyse pour l’homme ne me paraît valable que si on pense que l’homosexualité masculine implique automatiquement la sodomie, et si l’on occulte le fait que la sodomie a sa place dans une sexualité hétéro. Après, mis à part une influence de la psychanalyse, je ne vois pas pourquoi la femme ne pourrait pas aimer une autre femme…. De même p. 66-67, elle explique que le sexe de la femme n’étant pas extérieur comme celui de l’homme, elle ne peut pas voir son désir et ne peut donc pas se poser elle-même. Je ne comprends pas : elle ne peut pas voir, mais elle peut tout à fait percevoir. La vue n’est pas le seul sens.
Il me semble pourtant qu’Irigaray n’adhère pas d’emblée à tous à ces présupposés…. Cf. chapitre IV
J’ai aussi du mal avec le présupposé de l’influence de la vie in utero, la référence quasi systématique à la procréation (qui est différente de la sexualité)…

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[club] Luce Irigaray – Ethique de la différence sexuelle : Difficulté préalable

[photopress:__thique_de_la_difference.jpg,thumb,pp_image]En matière de différence sexuelle, j’ai une difficulté préalable. Il s’agit d’une réalité biologique, mais comment peut-on passer du biologique au métaphysique et à l’éthique ? Les femmes et les hommes sont différents biologiquement, et alors ? Je crois qu’on a déduit beaucoup de bêtises de cette observation, relire Kant pour s’en convaincre… Comment éviter cet écueil ?
Là je n’ai pas de réponses, à moins bien sûr de tout démolir comme René au début des méditations (mais est-ce très réaliste) et de tout refonder…

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[club] J. S. Mill-The subjection of women- Lectures croisées

[photopress:autrejeunefille.jpg,thumb,pp_image]Je pense que l’on peut rapprocher cet ouvrage de plusieurs oeuvres sur lesquelles nous avon débattues.

L’argument de Mill, selon lequelle une société qui se veut libérale et anti-esclavagisme, ne peut tolérer en son sein une structure aussi inégalitaire et injuste que le mariage est également présent chez Moller Okin. Mill propose de légiférer de changer le statut des femmes et de leur offrir les mêmes droits que les hommes dans la société (droit de participer à la compétition). Moller Okin remarque que cela reste insuffisant et propose des politiques interventionnistes… De l’échec du libéralisme pur?

Mill s’oppose avec insistance à l’argument de la nature La nature ne justifie rien, on ne peut pas légiférer sur un état de fait. P. 475 : “In the first place, the opinion in favour of the present system, which entirely subordinates the weaker sex to the stronger, rests upon theory only; for there never has been trial made of any other: so that experience, in the sense in which it is vulgarly opposed to theory, cannot be pretended to have pronounced any verdict. And in the second place, the adoption of this system of inequality never was the result of deliberation, or forethought, or any social ideas, or any notion whatever of what conduced to the benefit of humanity or the good order of society. It arose simply from the fact that from the very earliest twilight of human society, every woman owing to the value attached to her by men, combined with her inferiority in muscular strength) was found in a state of bondage to some man.”
Il n’y a pas d’infériorité naturelle des femmes. Toutes les formes de domination apparaissent dans un premier temps naturelles. P. 482. Aristote déjà s’appuyait sur une différance de nature. P.484 : “The subjection of women to men being a universal custom, any departure from it quite naturally appears unnatural.” Il existe peu de connaissances réelles sur la différence des sexes, aussi bien dans le domaine de la psychologie que dans celui de la biologie. Et la connaissance ne pourra pas progresser si on ne laisse pas les femmes parler. P.497

En s’opposant ainsi à la nature, Mill s’oppose à Kant et se rapproche de Wollstonecraft.

La référence à l’éducation qui maintient les femmes de l’ignorance le rapproche également de cette dernière.

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[club] J. S. Mill – The subjection of women : Quelques clichés

[photopress:the_subjection_of_women.jpg,thumb,pp_image]Dans The subjection of women, Mill se lance dans une entreprise d’exploration et de déconstruction de tous les clichés véhiculés par les hommes à propos de la nature féminine:
– les femmes auraient un cerveau moins performant que celui des hommes, parce que moins gros;
– si elles avaient pu parvenir au génie, elles l’auraient déjà fait, et on disposerait déjà d’un Shakespeare ou un Michel-Ange féminin: elles sont donc condamnées à un « plafond de verre » de médiocrité artistique ;
– la grandeur de la femme est dans son abnégation, sa douceur, son sens du sacrifice, et elle se doit de nourrir ces vertus, qui lui sont spécifiques, sans se préoccuper de qualités intellectuelles (raisonnement qu’on retrouve peut-être en partie -c’est à voir- chez les théoriciennes de l’éthique du care);
– les femmes sont inaptes à gouverner car, trop préoccupées d’intérêts individuels, elles demeurent imperméables aux questions politiques…

Mais Mill ne tombe-t-il pas lui aussi dans le cliché lorsqu’il annonce, à la fin du chapitre II, après avoir exalté la résistance que les femmes devaient opposer à leurs « oppresseurs » : Dans un état de choses juste, il n’est donc pas, à mon avis, souhaitable que la femme contribue par son travail aux revenus de la famille? Même s’il en excepte les femmes douées de dons particuliers et celles qui, sans patrimoine, ne peuvent faire autrement que de travailler pour vivre, il n’en reste pas moins que, selon lui, le travail n’est pas nécessaire à la femme. Il occulte donc la dimension symbolique du travail comme élément fondateur d’une identité personnelle et sociale… Ce que Beauvoir réhabilitera dans le Deuxième sexe : la femme objet doit devenir sujet et assumer son existence propre – ceci via le travail.

Enfin, Mill oublie également un autre point : s’il décrit le mariage (de l’époque) comme une situation de rapport de forces inacceptable et qu’il appelle de ses voeux la possibilité de mariages égaux, libres et heureux, il occulte la figure de la femme célibataire, alors frappée, contrairement à l’homme, du sceau de l’infamie. N’y avait-il pas précisément, à l’époque, quelque chose de subversif et de résistant à refuser le modèle imposé d’existence féminine dans le mariage? C’est ce que Mary Wollstonecraft avait pourtant choisi : placer l’indépendance au centre de l’existence, que ce soit à travers le refus du mariage conventionnel ou la mise en place ultérieure, avec celui qui serait le père de sa fille, Mary Shelley, d’un couple égalitaire.

Quoiqu’il en soit, il reste étonnant que Mill n’ait pas réhabilité cette figure de la célibataire et n’ait pas donné une meilleure définition d’une relation égalitaire…