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[club] Weiner-Cusk-Guéritault – La femme assassinée

violaine gueritaultJuliet est une femme frustrée. Cela est clair dès les premières pages du roman : elle a le sentiment d’avoir sacrifié le brillant avenir auquel elle était promis à son mari. Elle le dit dans des mots très dure : « All men are murderers, Juliet thought. All of them. They murder women. They take a woman and little by little they murder her »

Juliet se sent assassinée. Elle n’existe que le dernier vendredi du mois pour son club de littérature. « At the Literary Club, however, for an hour, Juliet took a human form »

De même Kate rêve que sa vie n’est pas la sienne : elle explique dans le premier chapitre que c’est un rêve récurrent. Elle a du mal à être actrice de sa propre vie. C’est un syndrome du burnout décrit par Violaine Guéricault. Enquêter sur le meurtre de Kitty lui permet de reprendre contact avec sa vie professionnelle d’avant ; mais cette enquête est bien plus qu’un hobby. Depuis la naissance des enfants, Kate était dans une sorte de dépression, elle n’arrivait à s’intéresser à rien. Depuis trois ans, cette enquête est la première chose qui l’intéresse, c’est en quelque sorte une thérapie, ce qui lui permet de reprendre goût à la vie. L’enquête lui permet de reprendre confiance en elle. Elle poursuit l’enquête au péril de sa vie car elle lui permet à nouveau d’exister c’est à dire d’être quelqu’un (en référence au titre au début du roman Kate sent qu’elle n’existe pas, qu’elle n’est personne, que sa vraie vie est ailleurs).

Juliet songe à se venger de son « assassinat » en expliquant à ses élèves que Les Hauts de Hurlevent traitent avant tout de vengeance… Elle développe un argument autour de la mère des soeurs Brontë qui me rappelle l’argument de la soeur de Shakespeare de Woolf (très présente dans Arlington Cusk). La mère des soeurs Brontë a été assassinée par son mari, sa famille, en quelque sorte ses filles l’ont vengée.

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[club] Weiner-Cusk-Guéritault – Universalité du stress maternel

photo-La-Vie-domestique-2013-6Violaine Guéricault explique que son observation ne dépend pas des cultures (même chose en France et aux USA), ne dépend pas des milieux sociaux… Etre mère causerait toujours une répétition de petits stress, pouvant si on ne le reconnait pas conduire au burn out.

Au début du roman, Kate pense que Kitty est très différente d’elle (« As far as I was concerned she represented everything that was wrong with my new hometown ») au fil de l’enquête elle se découvre des points communs. Cela renvoie à l’universalité du phénomène de burnout décrit par Violaine Guéricault. Cependant Kate ne le perçoit pas, elle pense qu’elle est différente des autres, qu’elle est la seule à ne pas s’en sortir. Violaine Guéricualt décrit aussi cette isolement qui renforce le stress maternel.

De même les femmes d’Arlington Park sont très différentes, pourtant leur expérience se ressemble. Comme Kate, Juliet se sent une « outsider » (« With her job, her PhD, her air of bitterness, she was an outsider »), pourtant son expérience est proche de celles des autres

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[club] Weiner-Cusk-Guéritault – Le travail invisible des femmes

vie domestiqueDans une interview à Télérama du 2 octobre 2013, Isabelle Czajka, réalisatrice de l’adaptation cinématographique d’Arlington Park explique qu’elle a voulu montrer le travail invisible des femmes.

C’est en effet le thème des trois ouvrages au menu de ce jour. Les héroïnes des romans accomplissent un travail invisible. Invisible parce que méconnu et surtout pas reconnu.

Les maris de Kate, Christine ou Juliet n’accordent à leurs épouses aucune reconnaissance. Ils pensent que leur quotidien est facile. Il ne leur en parle que pour leur faire des reproches. Ben par exemple ne donne qu’un feedback négatif à Kate : plus de chemises propres, ses kilos en trop, incident lors de la fête d’anniversaire… Ceci illustre le chapitre 5 du livre de Violaine Guéricault. Ce manque de reconnaissance est un facteur de stress.

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[club] Weiner-Cusk-Guéritault – Littérature et condition féminine

arlinton park 1L’écriture et la lecture sont très présentes dans ces deux romans. Est-ce là un trait de la condition de la femme insatisfaite et/ou déçue : se réfugier dans l’écriture et/ou dans la lecture ?

Kate Klein a été rédactrice et investigatrice pour un magazine de potins. Elle dit d’elle-même à un moment : « I used to be a good writer ». Sa voisine assassinée rédigeait elle aussi des articles, mais d’une autre portée, car moralisateurs et politiques, et en tant que nègre ; elle préparait un livre. Kate relève leurs ressemblances. – Mais c’en est tout pour les références littéraires, les citations qui émaillent le livre étant celles de chansons de jazz ou de variété. Et finalement c’est vers l’investigation que Kate orientera son énergie débordante mais perdue dans ses soucis domestiques, faisant en cela figure de Miss Marple de la banlieue new yorkaise.

Juliet, une des personnages d’Arlington Park, est prof de littérature. Elle organise un club littéraire pour les terminales. Ne s’y rendent que des filles, le lycée où elle exerce étant un lycée non mixte. Les livres choisis rappellent ceux que nous avons nous-mêmes lus :
« Au club littéraire, Juliet essayait de conjurer ce sort, quelques limités que soient ses moyens. Elle tentait de leur faire connaître la nature de la bête. Elles étaient censées choisir le livre du mois en comité, mais, sans remords, Juliet les aiguillait vers des oeuvres qui disaient la vérité, telle qu’elle la voyait, sur la vie des femmes. Elle s’appliquait à être aussi contemporaine que possible, et à donner la priorité aux femmes dans ses choix, mais comme résister à Madame Bovary ? Comment ne pas les orienter vers Anna Karénine (…)? » (p. 173)
Les soeurs Brontë sont également citées ; ce sont d’ailleurs Les Hauts de Hurlevent qui sont en débat le jour club qui nous est raconté. Enfin, l’ouvrage tout entier est conçu comme une ré-écriture de Mrs Dalloway de V. Woolf.
Tous les ouvrages abordés dans ce club littéraire sont comme des miroirs de la réalité féminine et des instrument d’instruction pour ces jeunes filles ; bien entendu, ces deux portées leur échappent. Et c’est finalement pour Juliet que ce club fait le plus sens et à elle qu’il fait le plus plaisir.

Là où l’écriture est tendue entre engagement politique et sociétale (Kitty Cavanaugh) et divertissement (Kate Klein) dans Goodnight Nobody, la lecture est vue comme le révélateur d’une réalité transhistorique, potentiellement catalyseur d’une prise de conscience existentielle et individuelle (Juliet) dans Arlington Park. Nous ne sommes donc pas face à un rapport à la littérature comme refuge ou comme fuite en avant, ni comme moyen de diffusion d’un idéal dangereux (c’est plutôt la télévision, les magazines et les chansons qui occupent cette fonction dans Goodnight nobody, l’urbanisme et l’organisation de la vie marchande dans Arlington Park). Si l’importance de la lecture et de l’écriture est présente dans ces deux romans, je n’arrive pas à établir en quoi elle éclaire la question de la condition de mère au foyer : as-tu une idée?

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[club] Weiner-Cusk-Guéritault – Humour et désespoir

weiner 1Les deux romans à notre programme ce mois-ci ont en commun leur thème – la « vie domestique » des femmes au foyer, pour reprendre la traduction d’Arlington Park ; on peut leur trouver un autre point commun : l’emploi de l’humour. Bien entendu, l’humour est beaucoup moins présent dans l’essai de V. Guéritault, qui s’attache à observer de manière neutre la situation psychologique et physique décrite dans nos deux romans.

Si dans le cas de Jennifer Weiner, l’humour est mis en avant comme un argument de vente (cf la couverture de l’édition Pocket Books et la quatrième de couverture, qui qualifie l’ouvrage de « laugh-out-loud funny »), ce n’est a priori pas le trait stylistique le plus frappant d’Arlington Park.

Weiner utilise un humour très explicite, basé sur l’autodérision et la comparaison systématique de son héroïne aux canons véhiculés par les médias (et par ses voisines) sur la mère parfaite (à Upchurch) et la femme parfaite (à New York), au désavantage de celle-ci. Cela rapproche Kate Klein de Bridget Jones – laquelle n’a jamais été croquée dans sa vie de mère, Helen Fielding ayant choisi de passer directement des premières années de mariage aux premières années de veuvage.

Cusk, quant à elle, fait parfois preuve d’une ironie mordante, dont on ne sait s’il faut en rire ou en pleurer. Par exemple dans le chapitre consacré à Solly :
« Vraiment, Martin était merveilleux. Il était ce qu’on appelait un père présent. Le problème est qu’il n’était jamais là. » (p.149).
Ou encore, dans le chapitre sur le parc :
« Richard n’arrête pas d’aller à ces conférences où personne n’a l’air de savoir ce dont il est question. Je lui dis, tu sais, mais qu’est-ce que tu fais exactement ? Qu’est-ce que tu accomplis en réalité ? Je crois qu’ils vont se bourrer au bar de l’hôtel. – Eh bien, pourquoi pas, après tout. – Oui. C’est quand même un peu fou. Même Richard reconnaît que c’est un peu fou. » (p.166).
Ou enfin, dans le chapitre sur le club littéraire, lorsqu’une participante demande à Juliet pourquoi elle a coupé ses cheveux :
« C’est ce qui arrive quand on a mon âge. On en a soudain assez. (….) – Et alors on commence à faire des choses à ses cheveux, dit Sara avec tant de mépris qu’elle semblait, en fait, bien connaître le phénomène. Ou on se fait faire de la chirurgie esthétique. Et on commence à être obsédé par son intérieur, on interdit tout à tout le monde pour ne rien déranger. On est, genre, vous savez, pourquoi manger ? ça fait désordre. Pourquoi sont-ils obligés de changer de vêtements ? Pourquoi est-ce qu’ils ne portent pas juste une sorte de costume en plastique ? Pourquoi est-ce qu’il faut qu’ils rentrent à la maison ? Pourquoi est-ce qu’ils ne vont pas à l’hôtel? » (p. 186).

A l’inverse, l’humour de Goodnight Nobody est parfois un peu forcé, comme lorsque Kate chante « If you happy and you know it clap your hand » pendant l’hommage rendue à sa voisine assassinée : Kate se ridiculise, cela est censé nous faire nous sentir plus proches d’elle que des canons qui nous sont imposés et qui sont inatteignables. La manière dont Jennifer Weiner s’adresse ici à ses lectrices me fait penser à cette camelot rencontrée par les femmes d’Arlington Park dans le supermarché qui force la complicité avec son public en répétant « vous voyez bien ce que je veux dire » à propos de ses hanches trop fortes, alors qu’elles ne le sont pas réellement.

Si la lecture de Goodbye Nobody m’a été plutôt agréable, je n’ai pas pu m’empêcher de me sentir un peu prise au piège d’une connivence malsaine : l’auteur ne cherche pas à critiquer réellement les faux modèles occidentaux de la « Good mother », mais à dédramatiser le fait de ne pas réussir à les suivre. L’entreprise de démystification, notamment pas l’humour, me semble plus réussie dans Arlington Park, car s’y ajoutent des descriptions de la vie suburbaine contemporaine sidérantes d’ironie, alors même qu’elles sont implacablement factuelles (cf la description du supermarché et celle du parc).