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[critique] Sophie Kovalevskaïa – Une nihiliste

[photopress:Une_nihiliste.jpg,thumb,pp_image]Vera m’écouta et se mit à suivre les cours, mais elle (…) ne réussissait pas à rattraper le niveau de ses camarades. (…) La plupart d’entre elles étaient des jeunes filles qui travaillaient assidument avec un objectif précis : elles avaient hâte de passer leurs examens pour devenir institutrices et vivre de leur propre travail. (…) Tout cela ne répondait pas à l’exaltation mélancolique d’une rêveuse comme Vera. Aussi n’est-il pas étonnant que, tout en leur ouvrant sa bourse, elle les considérât comme des enfants et se tînt à l’écart.

Sophie Kovalevskaïa, mathématicienne et féministe, s’inscrit dans le XIXe siècle russe de Dostoïevski et Tolstoï. Proche du milieu nihiliste constitué d’aristocrates en rupture avec les valeurs de leur classe, elle décrit, dans Une nihiliste, le parcours d’une jeune mystique que ses aspirations à l’absolu conduisent de la volonté du martyre religieux à la passion amoureuse et de la passion amoureuse au sacrifice politique.

Par-delà la forme classique du récit et le caractère lisse, quoique fervent, du style, la force du récit réside en cela qu’il sait débusquer, derrière les grandes ambitions, le dessin d’un caractère – d’un vice, presque. L' »exaltation mélancolique » dont parle Sophie Kovalevskaïa est la même que celle qui saisit Tolstoï lorsqu’il fait voeu de simplicité, la même que celle qui guide l’Aliocha des Frères Karamazov : un certain penchant pour l’extrême, une exigence univoque – quasi capricieuse – de l’absolu.

Il y a en cela une folie, mais aussi une grandeur, qui fait écho à cette histoire qui, au XIXe siècle, en Russie, se profile : celles d’octobre 1917. Profilée ici par la fin du servage, la collusion des classes se prépare dans la Russie des Tsars : les nihilistes précipiteront, à dessein, l’extinction de leurs propres privilèges – le mérite d’Une nihiliste étant d’en pénétrer les présages.

Portrait de femme, Une nihiliste est aussi l’affirmation volontaire de la dignité du courage féminin – qui, par son sens de l’abnégation (dont l’égoïsme n’est pas exempt), refuse les distinctions de vertu entre les sexes.

Homme ou femme, il n’y a qu’une seule façon d’être combattif : c’est d’être convaincu.

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