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[club] Marie de France – Rang et amour courtois

Dans « Equitan », le roi tombe amoureux de la femme de son sénéchal ; elle lui dit que « l’amour n’a de valeur qu’entre égaux » car « le puissant, bien persuadé / que personne ne lui enlèvera son amie, / il entend la dominer de son amour ».

Ce à quoi le roi répond que ceux qui « recherchent des femmes inférieures » ne sont pas « de vrais amants courtois » et qu’une femme « sage, courtoise, de noble coeur » mérite « n’eût-elle que son manteau » qu’un roi l’aime « loyalement ».

On retrouve le même motif dans Erec et Enide de Chrétien de Troyes, Erec étant un chevalier de la cour arthurienne et Enide la fille d’un homme sans noblesse, vêtue pauvrement.

Le roi se présente alors à la femme comme son « vassal » et lui demande de ne plus le considérer comme le roi.

Par cet amour courtois, on voit ici que la différence de condition sociale n’est pas seulement abolie : elle est renversée. Le roi devient vassal, le sujet du roi devient sa maîtresse (domina en latin, racine étymologique du mot français « dame »). De plus, l’homme n’est plus le maître mais le vassal, et la femme est celle que l’on sert.

Ce passage d' »Equitan », parce qu’il insiste sur l’incongruité de ce double renversement, peut être  lu, me semble-t-il, comme le négatif du fonctionnement habituel de la société médiévale : une société où l’homme domine la femme comme le roi son sujet.

2 réponses sur « [club] Marie de France – Rang et amour courtois »

Je trouve que les lais montrent que l’amour ne dépend des rôles et des rangs sociaux, mais que le mariage (et le bonheur) si. L’idéal est donc d’arriver à concilier les deux.
L’historien George Duby est ainsi très critique de l’amour courtois : il y voit un jeu d’hommes, où la femme aidée a peu de rôle. Il s’agit au final de valoriser l’amour conjugal. C’est particulièrement vrai dans Eliduc, et aussi dans Erec et Enide.

La remarque de Duby est éclairante : elle permet de résoudre le conflit entre l’inégalité sociale réelle dans le mariage et l’égalité sociale dans l’amour de fiction en montrant que même dans la fiction, on décèle des indices du véritable état des choses…

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