Ce que révèle The Jane Austen Book Club, c’est d’abord l’irréductibilité des points de vue de lecteurs différents sur une même oeuvre. La construction du roman, par chapitre et lecteur, se veut le reflet de ce relativisme : à chacun son livre préféré, à chacun sa Jane Austen, à chacun sa manière de comprendre ses romans. Le fait que les intrigues des romans de Jane Austen trouvent un écho dans les vies des lecteurs est aussi une façon de relier un livre et les différentes manières de le vivre, donnant par là un indice quant à la question de savoir pourquoi tel lecteur préfère tel livre. La réponse est : parce qu’il s’y retrouve. La motivation fondamentale de la lecture serait donc quasi narcissique, puisqu’il s’agirait de se refléter dans le texte, d’y mirer une image sublimée et plus parfaite de soi. Dès lors, la réduction de l’intérêt à l’attention égocentrique portée à soi-même dessine une conception de la lecture comme nécessairement relative. Il devient impossible de s’entendre sur le sens d’un ouvrage, puisque son sens se réduit à celui que notre vie (ou plutôt : les événements que nous subissons et qui constituent notre vie) lui donne.
Cette manière de concevoir la lecture a du vrai : les textes d’Alberto Manguel, comme le Journal d’un lecteur, où il décrit, à chaque chapitre, quelles interactions telle lecture a pu avoir avec sa vie, peuvent sembler aller dans ce sens. En réalité, ce qui est faux c’est de croire que seule cette manière de lire soit véritable. A côté de cette rencontre d’une vie de lecteur avec un texte, qui suscite l’enthousiasme ou l’indifférence, il y a la lecture scientifique, neutre, qui vise une compréhension du texte à partir du texte même. Il y a aussi la lecture historique, qui cherche, dans le texte, la trace, l’intention, le projet et le travail de l’auteur. Il me semble que c’est en adoptant de telles lectures, en se mettant à l’écoute de ce que le texte a à nous dire qui ne nous intéresse pas en premier chef (car ne nous concerne pas en premier lieu), que l’on se met à même d’être transformé par un texte. Les lecteurs du Jane Austen Book Club cherchent leur reflet dans les romans de Jane Austen, ils l’y trouvent, ils s’y conforment : la boucle est bouclée. Dès lors, leurs vies ne reproduisent que le fil narratif des intrigues d’Austen, elles ne se nourrissent pas en profondeur des leçons que ces textes donnent, des visions de la vie qu’ils proposent. Et ainsi, tout échange constructif qui ait pour objet le livre lu et non les intérêts particuliers de chacun devient en effet impossible.
En conclusion, c’est donc une lecture désintéressée qu’exige la tenue de tout bon bookclub : fort heureusement, je crois que c’est ce à quoi nous nous sommes toutes les deux efforcées depuis le début.
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