Le but principal de la mise de ce roman dans notre programme était de mettre en abyme notre propre projet : constituer un club de lecture (même si le terme anglophone “bookclub” est désormais consacré). Ce type de manifestations connaît un succès croissant aux Etats-Unis notamment (Bookclub d’Oprah Winfrey, initiatives de certaines éditeurs anglo-saxons qui ajoutent, en fin de volume, les questions susceptibles d’être soulevées à propos de l’ouvrage) et remet ainsi la lecture au goût du jour.
Or force est de constater, que ce soit dans ces orchestrations télévisées de la lecture ou dans le roman de Fowler lui-même, que ce sont en majorité les femmes qui se constituent en bookclub (Grigg est une exception dans le Jane Austen Book Club, comme le remarque l’une des participantes qui la salue d’une formule plus que contestable : “les hommes parlent, ils ne partagent pas”). Cela est-il seulement du au fait que la majorité des lecteurs, dans toutes les cultures et de tout temps, sont des femmes? Ou y a-t-il là quelque chose de plus significatif?
La remarque d’une des lectrices du Jane Austen Book Club, en révélant une vision caricaturale des hommes, met en avant une mise en opposition des sexes via des particularités qui seraient propres à chacun (les femmes seraient ouvertes au dialogue, les hommes au monologue). Ce qui s’avère, en dernière instance, contraire à l’esprit du vrai féminisme, qui prétend s’élever au-delà des caricatures et revendique une définition ouverte et un traitement égal pour chacun des deux sexes. Si on entend le bookclub comme une manière, pour les femmes, de se réunir entre elles et de cultiver leur goût pour des fictions qui entretiennent leur vision des choses en entérinant le divorce qu’elles croient percevoir entre fiction et réalité, ce genre de manifestation n’est-il pas anti-féministe? N’est-ce pas, en quelque sorte, un geste communautaire voire communautariste?
La réponse à cette question ne me semble pas se trouver dans le roman de Fowler ; ou tout du moins : le fait qu’un homme fasse partie du bookclub décrit semble aller contre cette conception du club de lecture comme vase clos. Il n’en reste pas moins que les réticences soulevées, au départ, face à la venue d’un homme, que le fait que ce soit Jocelyn qui l’ait invité et non lui qui ait spontanément désiré participer, et qu’enfin c’est une écrasante majorité de femmes (5 sur 6) qui constitue ce groupe, soulignent la prédominance féminine du bookclub.
Le danger d’une telle organisation est d’entretenir les femmes dans une sorte de passivité face à la vie, de les inviter à se réfugier dans la rêverie, dans une fiction rassurante et consolatrice mais fausse, car détachée des exigences du réel. Un tel mode de lecture (que beaucoup de lectrices adoptent sans doute face à Jane Austen, même si tel ne fut pas (je l’espère!) notre cas) n’incite pas à ré-inventer le monde mais à s’en retirer. Il entretient les femmes dans une attitude de contemplation et de passivité face au monde ; or l’association de la féminité à la passivité était déjà décriée par Beauvoir dans Le deuxième sexe, et pointée comme une erreur favorisant l’oppression envers les femmes.
Dans le roman au contraire, il semble que la rencontre avec un ouvrage ouvre à ces lectrices un parallèle avec leur vie ; ce parallèle fait en sorte que ces personnages ne sont plus seulement lectrices d’un roman : elles en deviennent l’actrice, l’héroïne principale. On pourrait trouver là une manière de rejoindre l’action, la prise de responsabilité. Or il me semble que, si elles sont les héroïnes de leur vie, leurs vies reprenant à chaque fois la trame d’un des romans d’Austen, elles n’en sont pas les auteurs. Elles restent, finalement, passives, et les happy end finaux tombent comme un cheveu sur la soupe (ce qui n’est pas le cas dans les romans d’Austen).
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