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[critique] Indiana de George Sand relu après #MeToo par Shannon Cheekoussen

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Indiana, c’est mon premier. Mon premier George Sand, mais également le premier roman que cette dernière a écrit entièrement seule. Elle affirme par ailleurs qu’elle l’a écrit : “sans aucun plan, sans aucune théorie d’art ou de philosophie de l’esprit”. Pourtant, certains critiques affirment que le roman est “un plaidoyer contre le mariage”. Qu’en penser?

J’envisage ce roman comme une dénonciation des conditions sociales de son temps, surtout en ce qui concerne la condition féminine. Indiana, contrainte à épouser le colonel Delmare, se retrouve coincée dans un mariage où elle rêve de s’échapper afin de retrouver sa liberté. Mais elle ne peut pas. Son mari en est la cause : il est le dominant, elle est la dominée. C’est la femme esclave enchainée à son maitre ; d’ailleurs, elle le dit : “Je sais que je suis l’esclave et vous le seigneur. La loi de ce pays vous a fait mon maitre”. Il a ce pouvoir qu’elle n’a pas aux yeux de la société. Et c’est cela, à mon avis, que George Sand tente de dénoncer : ce rapport d’inégalité entre les deux sexes, cette supposée infériorité.

Indiana devra attendre pour mettre ses aspirations de liberté à exécution. Et c’est Raymon de Ramière, jeune noble qu’elle rencontrera lors d’un bal, qui le lui permettra. En effet, dès la première rencontre survient le coup de foudre. Mais l’impression que j’ai eue en lisant le roman, est que le but premier de Raymon est de séduire Indiana, non pour obtenir son amour, mais uniquement pour son égo. Raymon de Ramière est déjà avec une autre femme : la femme de chambre d’Indiana, Noun. Dès lors qu’il ne prend pas la peine de prévenir cette dernière au sujet de ses épanchements amoureux, sa sincérité n’est plus de mise. J’en vois même que la situation lui devient profitable : avoir deux femmes à son chevet, prêtes à tout pour le satisfaire.

Noun, c’est celle qui représente l’exotisme, celle qui va faire surgir le fantasme du métissage aux yeux de Raymon. Indiana, quant à elle, est celle qui vient de l’Ile Bourbon mais qui ressemble à une occidentale. Indiana est une femme issue d’une famille noble, Noun est une femme de chambre : tout un monde les sépare, que ce soit du point de vue économique, social ou culturel. On peut imaginer que c’est peut-être cette différence qui attire Raymon et qui l’empêche de faire un choix, du moins, jusqu’à la mort de Noun. Néanmoins, Noun n’est qu’une figurante puisqu’elle se place désormais au second plan dans l’intrigue amoureuse et qu’elle est remplacée par Indiana, qui, de son coté, prend la première place. Elles ne le savent pas mais une compétition s’installe entre elles, car elles veulent toutes deux le cœur du même homme.

 On y verra plusieurs stratagèmes : Noun qui se déguise comme sa maitresse pour obtenir le cœur de  Raymon, Indiana prête à se soumettre entièrement à celui qu’elle pense être l’homme de sa vie. Quid de leur vie en tant que femmes ? Elles s’oublient et semble-t-il, tout ce qui compte, c’est d’être avec Raymon, comme si leur destin évoluait en fonction de cet homme. Par ailleurs, l’une se suicide suite à un malheureux quiproquo, tandis que l’autre envisage de le faire, à cause d’une souffrance terrible. Si l’une se supprime et que l’autre y échappe de justesse, j’ai l’impression qu’il n’y a pas de perspective de vie pour les femmes seules dans ce roman. Je me pose alors la question : est-il nécessaire qu’une protagoniste passe par un chemin sinueux et douloureux pour obtenir les “faveurs” d’un homme ? Et, est-il nécessaire que ce dernier fasse partie de l’intrigue pour permettre à une femme d’exister ?

Après la mort de Noun, on constate qu’Indiana continue à être asservie à Raymon ; elle échappe toutefois aux conventions concernant le mariage puisqu’elle n’a pas peur des risques encourus en entretenant des relations avec Raymon. Cela montre qu’elle ne se soumet pas totalement au colonel Delmare : elle est une femme qui ne se cantonne pas à ce qui est imposé par la société mais qui est quand même sous l’emprise d’un autre homme. Elle quitte donc l’Ile Bourbon pour rejoindre ce dernier alors que lui ne semble pas éprouver de l’amour pour elle mais suivre seulement le besoin qu’elle se soumette afin qu’il se sente valorisé, : “ Il se sentait assez d’adresse et de rouerie dans l’esprit pour faire de cette femme ardente et sublime une maitresse soumise et dévouée”. C’est donc pour son plaisir personnel qu’il envisage de recontacter Indiana et ce, sans même mesurer les conséquences de ses gestes et du risque qu’elle encourt. Par ailleurs, c’est à la suite d’une lettre reçue par Raymon que le colonel Delmare va découvrir toutes les anciennes lettres cachées par Indiana. Pour la première fois dans l’intrigue, nous allons être témoins des violences que subit Indiana de la part de son mari, : “Alors, sans pouvoir articuler une parole, il la saisit par les cheveux, la renversa, et la frappa au front du talon de sa botte”. Je comprends le fait qu’elle cherche à s’enfuir, qu’elle veuille le quitter, mais j’éprouve une certaine amertume à l’idée de me dire qu’elle le quitte non pas pour retrouver sa liberté en tant que femme, mais pour se retrouver dans les bras d’un homme qui ne la respecte pas non plus.

Car Indiana fait indéniablement preuve de faiblesse face à Raymon. Elle n’a pas l’esprit clair puisqu’elle est aveuglée par son amour. Dès lors, peut-on la blâmer ou doit-on avoir pitié d’elle ?  Nous savons qu’elle lutte contre la société mais seulement pour être avec un autre homme que celui qui lui a été imposée. C’est le pathétique d’un extrait qui m’a convaincue qu’Indiana n’était qu’une femme amoureuse tombée dans les filets d’un homme qui finalement ne l’aimait pas, mais qui voulait seulement la posséder : “ C’est ton esclave que tu as rappelée de l’exil et qui est venue de trois mille lieues pour t’aimer et te servir ; c’est la compagne de ton choix qui a tout quitté, tout risqué, tout bravé”. À la découverte de la femme que Raymon a épousé en l’absence d’Indiana, on aperçoit d’autant plus de la fragilité de cette dernière, qui semble brisée d’apprendre qu’il ne l’a pas attendu. Indiana est la femme laissée à l’abandon, c’est la femme réduite à rien, la femme oubliée. Est-ce donc le sort de toutes ces femmes condamnées à périr parce qu’elles sont seules ? Il est certain que les hommes ne perdent pas leurs privilèges dans cette société, quel que soit le sort qui leur a été réservé. On éprouve alors un sentiment d’injustice pour Indiana, pour cette femme qui a tant souffert, et ce, dès son plus jeune âge.

La fin du roman surprend. Alors qu’Indiana était sur le point de se jeter d’une falaise en compagnie de son cousin qui lui a avoué l’amour qu’il cachait depuis longtemps, l’intrigue prend une autre tournure. La conclusion nous amène à voir que c’est finalement une fin heureuse qu’a choisie George Sand puisqu’Indiana ne périt pas. On retrouve Indiana vivant avec Sir Ralph, amoureuse, et visiblement heureuse, même s’il reste des traces de tristesse. Cette fin m’a étonnée car je m’attendais à une fin tragique. Si George Sand voulait une fin heureuse, pourquoi a-t-il fallu qu’Indiana succombe de nouveau à l’amour d’un homme ? Cet homme qu’elle considérait comme un frère qui plus est… Il aurait fallu qu’elle fasse son chemin seule, en tant qu’individu libre, même s’il était mal vu par la société qu’une femme vive célibataire. C’est pourtant la voie qu’a choisie George Sand elle-même !

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