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[club] Pierre Bourdieu – La domination masculine : Définition négative de la féminité

[photopress:bourdieu_1_2.jpg,thumb,pp_image]A plusieurs reprises, P. Bourdieu définit la féminité en référence à la « masculinité » ou « virilité » et en la posant comme son négatif : la féminité est ce qui flatte l’ego masculin, complaît les attentes masculines (voir ce « bar japonais » où les hommes viennent chercher…des flatteries, p. 85) mais c’est aussi, selon lui, un évitement. Ainsi être une femme, c’est éviter tout signe de virilité (p. 136) : être une femme, c’est ne pas être un homme. Il ne s’agit pas tant de définir la femme par l’homme et l’homme par la femme, comme deux termes relatifs, mais bien de définir la femme comme quelque chose d’exclusivement négatif : si être un homme, c’est ne pas être une femme (au risque, sinon d’être pointé du doigt et ridiculisé par les camarades hommes), la virilité rencontre également une définition en soi. En revanche, être une femme, c’est ne pas être un homme, et plaire aux hommes – voilà toute la définition qu’en donne Bourdieu. Que fait-il de la capacité de procréer, qui définit principalement la femme dans sa différence sexuelle?

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[club] Pierre Bourdieu – La domination masculine : Bourdieu et les féministes

[photopress:panneau.jpg,thumb,pp_image]J’ai noté en passant un leitmotiv bourdieusien qui fait écho au Deuxième sexe de Beauvoir : être femme, c’est être perçue (p. 94 par ex.). La femme est donc définie en tant qu’objet (de regard) et non comme sujet (regardant) : on rejoint là l’analyse de Beauvoir. Mais, quand Beauvoir prônait la nécessité, pour les femmes, de se faire devenir sujets, Bourdieu en reste au simple constat : pour lui, cela relève de structures solidement ancrées et de pouvoirs symboliques, vouées à se reproduire. C’est, à mon sens, une vision trop figée, trop peu militante des choses – c’est faire de l’être un devoir-être et faire preuve d’un certain « fatalisme », ou d’un certain « désengagement » face à un état des choses dont l’auteur décrit précisément toute l’injustice et l’arbitraire.

Même chose lorsque Bourdieu critique les Gender Studies (p. 141) : pour lui, l’ordre des choses est trop enraciné pour pouvoir être changé, et les Gender Studies se leurreraient en attribuant la différence sexuelle à une simple opération de langage. Il est vrai que les comportements, les habitudes prennent leur source dans des structures de pensées qu’elles confortent en retour ; mais est-ce à dire que ces structures de pensées ne puissent pas être changées? Une telle modification implique des bouleversements dans les actes, évidemment : mais la parole est un acte, et cesser de respecter la règle du « masculin l’emporte » en grammaire n’est pas un acte anodin, mais un acte militant. Si le langage n’est pas le seul ciment de la différence des genres, il peut être un instrument qui la nuance voire l’abolit. La pensée n’est pas tout : si on peut agir sur elle en la renforçant, on peut aussi la défaire.

Voilà ce que l’auteur dit de cette soumission à l’ordre des choses : « j’ai toujours vu dans la domination masculine, et dans la manière dont elle est imposée et subie, l’exemple par excellence de cette soumission paradoxale, effet de ce que j’appelle la violence symbolique, violence douce, insensible, invisible pour ses victimes mêmes « . Bourdieu dit s’étonner de cette soumission – ignore-t-il tout des luttes féministes de ces dernières décennies ? Peut-on considérer qu’il s’agit de soumission? L’ignorer, c’est faire preuve d’un certain mépris des faits que Bourdieu semble vouloir, préciser, conjurer.

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[club] Pierre Bourdieu – La domination masculine : Actualité du propos

[photopress:femmes1ereguerremondiale.jpg,thumb,pp_image]J’ai parfois été étonnée de relever des « descriptions de faits » me paraissant refléter une société d’après-guerre… Or cet ouvrage a été publié pour la première fois en 1998 !! Je citerai notamment le passage concernant le choix d’orientation professionnelle des jeunes lycéennes (p. 130), où les choix sont biaisés par le discours encourageant ou décourageant des professeurs et des parents. Cette situation existe sans doute encore : mais n’a-t-on pas, malgré tout, progressé sur ce terrain depuis les années 50 ?

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[club] C. Gilligan, In a different voice – L’éthique du « care »

[photopress:In_a_different_voice.jpg,thumb,pp_image]En préambule, je relève la définition de l’éthique du « care » donnée par C. Gilligan : This relationnal ethic transcends the age-old opposition between selfishness and selflessness, which have been the staples of moral discourse. (…) Relationship requires a kind of courage and emotional stamina which has long been a strength of women, insufficiently noted and valued (p. XIX).

L’ouvrage de Carol Gilligan exhibe, à travers une série d’entretiens psychologiques, de quelles différentes manières hommes et femmes abordent et traitent les mêmes problèmes moraux. Elle met en avant la préoccupation féminine de « ne pas heurter » autrui, de ne pas faire de mal, quand les hommes auraient tendance à envisager les conflits moraux de manière plus rationnelle, plus logique, plus abstraite (je pense ici aux réponses des deux enfants au dilemme de Heinz : un homme dont la femme va mourir si elle ne reçoit pas un médicament pour lequel ils n’ont pas assez d’argent doit-il voler ce médicament au pharmacien?). L’éthique du care « rests on the premise of non violence – that no one should be hurt ». C’est de la compréhension de cette éthique particulière, de cette voix différente, propre aux femmes, que pourrait émerger une psychologie plus adaptée car plus attentive aux singularités de chaque genre. C’est aussi de cette compréhension que dépendrait une meilleure entente entre les sexes.

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[club] C. Gilligan, In a different voice – Attachement et séparation

[photopress:balance.jpg,thumb,pp_image]Selon C. Gilligan, l’esprit masculin raisonnerait selon une éthique de la justice, l’esprit féminin selon une éthique du soin ; l’homme aurait comme point de départ la séparation (de soi vis-à-vis de l’autre, du groupe) et aurait un effort à faire pour accepter de s’attacher à autrui ; pour la femme, ce serait l’inverse : la relation d’attachement serait prévalente, la séparation étant vécue comme une menace ou une épreuve, en tout cas comme une anomalie.

On peut ici faire un lien avec ce que décrivait Beauvoir : être une femme, c’est apprendre à être un objet ; dès lors, on ne se définit plus que par rapport à l’autre, et se définir par soi devient quelque chose d’inquiétant, qui ne va pas de soi. Il s’agit, au fond, d’éducation à la dépendance ou à l’indépendance, d’incitation à occuper la place de l’esclave ou du maître. Que la notion d’attachement  puisse être liée à cette attitude de soumission, de dépendance est, me semble-t-il, assez intéressant: elle montre que la « servitude volontaire » n’est pas le fait d’une lâcheté ou d’une faiblesse mais d’une vision des choses instillée dès le plus jeune âge, et que c’est par une prise de conscience progressive qu’un autre type de relations est possible que l’émancipation peut avoir lieu.

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[club] C. Gilligan, In a different voice – Ce livre est-il à sa place?

[photopress:gilligan_flammarion.jpg,thumb,pp_image]Dans un premier temps, je dirai non. C’est un livre qui s’inscrit dans un débat précis en psychologie. Et selon moi c’est d’abord un livre de philo morale (j’aurais bien aimé l’avoir lu en deuxième année pour le cours de Bruno…)  il interroge de manière stimulantes les théories classiques et modernes…

Mais dans un second temps, je pense qu’il a sa place ici car

1)Il permet de penser la différence sans mettre en compétition. Ce que Gilligan refuse c’est de dire que jack a raison, et Amy tort, qu’il y a qu’une seule façon d’envisager les questions morales, ou que l’une témoigne d’un développement supérieur à l’autre. Ce sont justes de façon différente.

2) Ce livre est aussitôt qualifié de féminisme parce qu’il est écrit par une femme et parle des femmes. Mais dans l’ouvrage, il ne me semble pas que Gilligan ait l’intention de se positionner ainsi. Pas exactement, en tout cas. il me semble qu’elle se contente de pointer une différence. C’est aussi ce qui amène à des réserves sur le livre et les interprétations qui en ont été faits. J’y reviendrais. Là je veux simplement dire que ce livre est une illustration d’un problème : les femmes qui écrivent sur les femmes sont féministes, les hommes qui écrivent sur les hommes sont philosophes…

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[club] C. Gilligan, In a different voice – Réserves

[photopress:LOGO_FEM.gif,thumb,pp_image]Il faut à mon avis être prudent avec ce livre.

Gilligan a une méthode purement empirique. Une méthode de psychologue. elle a réalisé des interviews auprès d’un panel et elle en a tiré des conclusions. Maintenant peut-on généraliser? Notons que les interviews ont été réalisé à un moment particulier (des femmes se posant la question de l’avortement) sur une question exclusivement féminine (elle aurait pu par exemple choisir une même question et la poserà des hommes et à des femmes).

D’autre part ne dit pas qu’elle met en avant une différence essentielle. Elle est peut-être due aux différences d’éducation  entre les sexes, ou à la différence de relation à la mère. Elle ne dit pas pourquoi elle observe cette différence entre les hommes et les femmes. D’ailleurs rien ne dit qu’on ne pourrait pas trouver des hommes pratiquant l’éthique de la sollicitude.

Donc je pense qu’il faut noter que le débat qui a suivi la publication du livre est le fait du radicalisation des propos de Gilligan : et si cette différence qu’elle pointe était essentielle? Et si les femmes étaient plus faites pour la sollicitude? Jo March aurait-elle donc raison de finir par se ranger et fonder une famille?

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[club] C. Gilligan, In a different voice – Egoïsme et gestion du conflit

[photopress:doisneau_cavanna__les_doigts_pleins_dencre__02_250_01.jpg,thumb,pp_image]A propos des jeux des enfants, C. Gilligan se fait l’écho d’une étude qui montre que les jeux des garçons durent plus longtemps que ceux des filles parce que, lorsqu’un conflit éclate, ceux-ci l’affrontent et le résolvent, quand les filles le fuient et l’associent à la nécessité d’arrêter le jeu. Il s’agirait, dans le cas des filles, d’éviter de mettre en danger la relation qui lie les joueuses en évitant tout conflit – comme si le conflit signait nécessairement la fin de la relation. Cette différence se ressentirait également en ce que les filles auraient tendance à éviter les situations de concurrence, étant males à l’aise avec l’esprit de compétition.

Tel n’est pas, bien entendu, le cas de toutes les filles ni celui de tous les garçons. Mais le rapport entretenu vis-à-vis de la capacité à  affronter l’adversité, à s’y mesurer, à estimer avoir des chances de l’emporter, me semble une clé dans la compréhension de « l’asservissement des femmes ». En étant encouragées à développer une morale de l’effacement, de la soumission, de l’évitement du conflit, du pacifisme et du refus de la concurrence, les femmes ont été mises en position de ne pas pouvoir se révolter ni se libérer. En posant cet « angélisme » comme une vertu morale, la logique de la domination masculine valorise la soumission et se donne les moyens de se perpétuer. – Cela semble évident, et pourtant cela a des répercussions dans bien d’autres domaines que celui des rapports entre les sexes : nombreuses sont les situations où, pour défendre ses intérêts, une femme, comme un homme, a besoin d’affronter et de vaincre l’adversité. Or, si les femmes acceptent de le faire « pour » autrui, elles rechignent à l’assumer pour elle-même, comme si elles étaient, dès lors, égoïstes (le refus de l’égoïsme par les femmes est pointé du doigt par C. Gilligan).

On comprend mieux, dès lors, pourquoi il subsiste encore aujourd’hui une telle disparité de salaires entre hommes et femmes : à qualification et poste égal, les femmes osent moins négocier leur salaire que les hommes, parce qu’elles ont été habituées à ne pas (trop) défendre leur intérêt.