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[club] Pierre Bourdieu – La domination masculine : Bourdieu et les féministes

[photopress:panneau.jpg,thumb,pp_image]J’ai noté en passant un leitmotiv bourdieusien qui fait écho au Deuxième sexe de Beauvoir : être femme, c’est être perçue (p. 94 par ex.). La femme est donc définie en tant qu’objet (de regard) et non comme sujet (regardant) : on rejoint là l’analyse de Beauvoir. Mais, quand Beauvoir prônait la nécessité, pour les femmes, de se faire devenir sujets, Bourdieu en reste au simple constat : pour lui, cela relève de structures solidement ancrées et de pouvoirs symboliques, vouées à se reproduire. C’est, à mon sens, une vision trop figée, trop peu militante des choses – c’est faire de l’être un devoir-être et faire preuve d’un certain « fatalisme », ou d’un certain « désengagement » face à un état des choses dont l’auteur décrit précisément toute l’injustice et l’arbitraire.

Même chose lorsque Bourdieu critique les Gender Studies (p. 141) : pour lui, l’ordre des choses est trop enraciné pour pouvoir être changé, et les Gender Studies se leurreraient en attribuant la différence sexuelle à une simple opération de langage. Il est vrai que les comportements, les habitudes prennent leur source dans des structures de pensées qu’elles confortent en retour ; mais est-ce à dire que ces structures de pensées ne puissent pas être changées? Une telle modification implique des bouleversements dans les actes, évidemment : mais la parole est un acte, et cesser de respecter la règle du « masculin l’emporte » en grammaire n’est pas un acte anodin, mais un acte militant. Si le langage n’est pas le seul ciment de la différence des genres, il peut être un instrument qui la nuance voire l’abolit. La pensée n’est pas tout : si on peut agir sur elle en la renforçant, on peut aussi la défaire.

Voilà ce que l’auteur dit de cette soumission à l’ordre des choses : « j’ai toujours vu dans la domination masculine, et dans la manière dont elle est imposée et subie, l’exemple par excellence de cette soumission paradoxale, effet de ce que j’appelle la violence symbolique, violence douce, insensible, invisible pour ses victimes mêmes « . Bourdieu dit s’étonner de cette soumission – ignore-t-il tout des luttes féministes de ces dernières décennies ? Peut-on considérer qu’il s’agit de soumission? L’ignorer, c’est faire preuve d’un certain mépris des faits que Bourdieu semble vouloir, préciser, conjurer.

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