Les manuels et les anthologies littéraires définissent généralement le roman épistolaire comme sous-genre du genre romanesque, dont la source remonte aux Héroïdes d’Ovide et à la correspondance d’Abélard et d’Héloïse, et dont l’âge d’or se situe aux XVIIe et XVIIIe siècles. Le premier grand roman épistolaire est ainsi l’ouvrage de Guilleragues (on n’identifiera l’auteur que 3 siècles plus tard), les Lettres d’une religieuse portugaise. Au XVIIIe siècle, les plus connus sont les Lettres Persanes de Montesquieu et la Nouvelle Héloïse de Rousseau ; l’apogée de ce sous-genre est souvent identifiée aux Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos.
De nombreuses femmes ont entrepris des romans épistolaires, telles la présidente Ferrand ou Mme Riccoboni. De plus, de nombreux romans épistolaires donnent plus d’importance aux lettres et à la voix féminines que masculines. Certains romans épistolaires sont ainsi qualifiés de «monodie» parce qu’ils ne font entendre que la voix de la femme, respectant ainsi le modèle ovidien.
Le cas de l’Histoire de Mme de Montbrillant de Mme d’Epinay me semble particulièrement intéressant. En effet, il ne s’agit pas seulement d’un roman épistolaire, mais d’une autobiographie déguisée. Or la plupart des romans épistolaires sont définis par les critiques contemporains comme des romans qui « font semblant » d’être authentiques alors qu’ils ne le sont pas. Ici, le roman épistolaire fait semblant de ne pas être véridique alors qu’il est.
Mme d’Epinay se situe donc à l’opposé de la vision que l’on a du roman épistolaire. Cela peut vouloir dire deux choses : soit elle dissone en connaissance de cause, et cela explique que son ouvrage n’apparaisse pas parmi les modèles de ce sous-genre ; soit notre définition actuelle du roman épistolaire est trop restrictive et l’exclusion que subit l’ouvrage de Mme d’Epinay est le fruit de notre aveuglement.
Autre originalité de Mme d’Epinay : elle mélange plusieurs formes dans son ouvrage. On y trouve des correspondances croisées, bien entendu, mais aussi des extraits de journal, des copies de confessions retrouvées par hasard, des retranscriptions de dialogue (p. 793). A la fois roman, lettre, journal, confession, théâtre, l’Histoire de Madame de Montbrillant se présente comme une œuvre polymorphe et totale. Cette entreprise littéraire singulière fait éclater les frontières entre les genres, ce qui coïncide avec un geste très contemporain. On peut peut-être voir là la raison de sa redécouverte : nous sommes enfin prêts à recevoir son œuvre, dans toute sa richesse.
Ces deux éléments, qui prouvent l’originalité de son écriture, vont, selon moi, dans le sens d’une réelle vocation de Mme d’Epinay (pour répondre à la question posée dans mon post précédent).
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Méta
Comme mme d’Epinay n’a pas de prétention littéraire (voir mon commentaire au post Quelle vocation littéraire), elle ne cherche pas à se conformer à un genre, ni à copier. Du coup, c’est très créatif, original. Une réussite.
Oui, le revers de la marginalité, c’est la liberté ! Le point noir, c’est que de telles oeuvres, qui ne correspondent pas aux canons en vue, passent souvent inaperçues pendant longtemps… Jusqu’à ce que des lecteurs, des éditeurs, des critiques les redécouvrent ! La musique de Vivaldi a été oubliée pendant deux siècles avant de refaire surface, au début du XXe s…
C’est là que se joue, à mon sens, notre rôle de lecteurs et le rôle de ce site : reconstruire l’histoire littéraire et des idées ; procéder à un travail de réhabilitation ; donner la preuve concrète qu’il y a eu, de tout temps, des femmes écrivains et que leur travail a toujours été aussi brillant que celui des hommes, bien que (et parce que) très différent.