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[club] Zola-Mauriac – D’autres Emma Bovary?

tdEmma s’ennuie depuis toujours, Thérèse D. aussi me semble-t-il (elle ne ressent rien dans tout le roman j’ai l’impression).

Thérèse R. est un cas un peu différent. Il me semble qu’elle aurait pu être heureuse, si sa tante ne l’avait pas enterrée vivante, si elle avait pu assouvir sa sensualité avec un mari. Tout aurait été différent aussi si Thérèse avait pu divorcer. C’est la morale et le poids des conventions qui poussent Laurent et Thérèse au crime (critique sociale de Zola). Thérèse est charnelle, elle n’est pas romanesque comme Emma Bovary ou intellectuelle comme son homonyme.

Cependant, lorsque Thérèse R. se met tardivement à la lecture, bien après les deux autres héroïnes, l’effet négatif des romans ne tarde pas. Elle est une mauvaise lectrice, car elle n’a pas appris à lire.

Les maris des Thérèse sont bien pires que Charles, mais leurs amants sont par contre meilleurs que ceux qu’Emma. Camille rappelle les maris impuissants de Balzac, de la Baudraye ou Mortsauf, maladif, avare et égoïste. Il rappelle aussi Bernard Desqueyroux. Il est ennuyeux et égoiste. Camille est le moins manipulateur, car le plus bête, je trouve.

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[club] Zola-Mauriac – La bête humaine

carneLes deux Thérèse sont présentées par leur auteur comme des créatures étranges, bestiale dans le cas de Thérèse Raquin, monstrueuse dans celui de Thérèse Desqueyroux. Mais dans les deux cas, elles emportent l’empathie du narrateur, et du lecteur :

Thérèse Raquin, ch. VII : « Tu ne saurais croire, reprenait-elle, combien ils m’ont rendue mauvaise. Ils ont fait de moi une hypocrite et une menteuse… Ils m’ont étouffée dans leur douceur bourgeoise, et je ne m’explique pas comment il y a encore du sang dans mes veines… J’ai baissé les yeux, j’ai eu comme eux un visage morne et imbécile, j’ai mené leur vie morte. Quand tu m’as vue, n’est-ce pas ? j’avais l’air d’une bête. J’étais grave, écrasée, abrutie. Je n’espérais plus en rien, je songeais à me jeter un jour dans la Seine… Mais avant cet affaissement, que de nuits de colère ! Là-bas, à Vernon, dans ma chambre froide, je mordais mon oreiller pour étouffer mes cris, je me battais, je me traitais de lâche. Mon sang me brûlait et je me serais déchirée le corps. A deux reprises, j’ai voulu fuir, aller devant moi, au soleil; le courage m’a manqué, ils avaient fait de moi une brute docile avec leur bienveillance molle et leur tendresse écoeurante. Je suis restée là toute douce, toute silencieuse, rêvant de frapper et de mordre. »
La situation dans laquelle Thérèse Raquin a été contrainte à vivre l’a changée en bête ; son crime l’abêtit encore davantage. Laurent, d’ailleurs, motive en partie son crime par son désir de vivre « en brute », de paresse et dans la satisfaction de ses désirs.

La préface de Thérèse Desqueyroux présente elle aussi l’héroïne comme un monstre, une Locuste, empoisonneuse antique célèbre. Le personnage cherche à s’expliquer à ses propres yeux pendant toute la première partie – à ses propres yeux plus qu’au mari auquel cette confession est pourtant destinée, mais qui ne voudra pas l’écouter. Dans La fin de la nuit, c’est en revenant à Argelouse que Thérèse comprend qu’elle ne pouvait pas agir autrement qu’elle l’avait fait, que sa situation était insupportable. Comme si la question de sa monstruosité avait continué à se poser à elle pendant toutes ces années de liberté surveillée.

Mais voir dans nos héroïnes des bêtes ou des montres est avant tout le point de vue d’une certain lectorat, dénoncé comme bourgeois et bien-pensant par Mauriac dans sa préface et par l’héroïne de Zola dans la diatribe reproduite plus haut. Les deux héroïnes ont enfin en commun cet enfermement dans des valeurs qui ne sont pas les leurs : la connivence avec Mme Raquin devenue paralytique, dont seule Thérèse parvient à déchiffrer les regards, met en parallèle leurs situations d’emmurée vivante : « Elle communiquait assez aisément avec cette intelligence murée, vivante encore et enterrée au fond d’une chair morte » (ch. XXVI) ; Thérèse Desqueyroux sera elle aussi enfermée, emmurée vivante, changée en morte vivante. Et là où elle trouve une libération grâce à la générosité finale et inattendue de Bernard, Thérèse Raquin, elle ne trouve d’échappatoire que dans la mort.