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[club] Flaubert&Sand – Réalité et émancipation féminine

mme bovary rodolpheEmma Bovary ne parvient jamais à s’ancrer dans la réalité. Elle n’a aucun projet politique, aucun intérêt réel pour autrui. Indiana par contre est capable de s’émouvoir sur le sort des esclaves, capable de réfléchir à sa propre condition de femme. Cette dimension politique (politique au sens large) est ce qui permet à Indiana de se sauver du romantisme. Cette dimension politique est aussi ce qui distingue les deux romans : alors que Flaubert choisit essentiellement une focalisation zéro, Sand nous propose le point de vue d’Indiana. De plus, les deux préfaces (1832 et 1842) de Sand situe clairement le roman dans un projet politique et féministe. Flaubert n’est cependant aussi neutre qu’il le prétend. Sans intervenir directement, le narrateur donne un avis, notamment par de l’ironie. Il y a à travers le personnage d’Emma une critique du romantisme mais aussi de l’oisiveté bourgeoise. Ainsi la mère de Charles remarque : « Si elle était, comme tant d’autres contrainte à gagner son pain, elle n’aurait pas ces vapeurs-là, qui lui viennent d’un tas d’idées qu’elle se fourre dans la tête, et du désœuvrement où elle vit ». Et à la fin du roman, on apprend que la fille d’Emma et Charles va apprendre un métier et travailler, car elle il ne lui reste qu’une parente pauvre. Flaubert en effet reproche aussi à Emma de ne s’être jamais confrontée à la réalité, de n’avoir aucun engagement politique. C’est ce refus de la réalité, cet absence d’engagement qui explique pourquoi, contrairement à Indiana, Emma ne parvient pas à s’émanciper et tombe d’une domination masculine à une autre (mari, amants, marchand).

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[club] Sand&Flaubert – Critique du romantisme

sand par mussetSi l’on regarde les deux romans rapidement, les choses sont claires. Indiana est un roman sentimental et Madame Bovary une critique du romantisme. Lorsque l’on se met à lire et à réfléchir, les choses sont un peu plus complexes. Indiana présente tous les topiques du romantisme : exotisme, nature déchaînée, suicide de Noun qui rappelle celui d’Ophélie ou Gretchen… Madame Bovary au contraire prend le contre-pied de ces topiques : province ordinaire, nature paisible, description réaliste de la mort d’Emma… Cependant, c’est tout de même l’héroïne de Flaubert qui se suicide alors que celle de Sand finit sa vie relativement heureuse, à l’écart du monde. Emma Bovary n’a pas la lucidité dont les lecteurs bénéficient grâce au point de vue du narrateur. Intoxiquée par les romans « à l’usage des femmes de chambre » qu’Indiana apprend à critiquer : « ces riantes et puériles fictions où l’on intéresse le cœur aux succès de folles entreprises et d’impossibles félicités ». De son point de vue Emma est une romantique. Les deux romans proposent une critique du romantisme en employant une stratégie différente : Mme Bovary met en scène une romantique dans le monde réel, quand Indiana propose l’évolution d’une romantique vers la réalité.

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[club] Sand & Flaubert – Retour aux sources : Condition féminine

George_Sand_Gustave_Flaubert 1865George Sand est l’auteur d’Indiana : un auteur qui est une femme, qui a divorcé, est partie vivre seule en ville avec ses deux enfants et qui a dû travailler pour vivre. Son regard sur la condition féminine est donc nourri de son expérience ; mais il est aussi nourri de ses lectures, car on repère dans bien des pages des clichés littéraires (le « Lovelace » (p.79) que représente M. de la Ramière, la « Virginie » (p. 77) que peut représenter Noun) et les références à un style (balzacien) et à des oeuvres (Paul et Virginie pour les scènes exotiques de la fin, qui rappellent également que George Sand avait été élevée par une grand-mère ayant connu Rousseau et ayant voulu suivre le programme d’éducation n’entravant pas la nature de l’Emile). Sand se défend d’avoir voulu écrire un plaidoyer contre le mariage en préface et prendra toujours ses distances vis-à-vis des revendications féministes de son temps (comme ceux de Flora Tristan par exemple).

A l’inverse, Flaubert, auteur de Mme Bovary, est un homme, volontiers misogyne dans ses lettres (quoique lié par une forte amitié à George Sand vieillissante, justement parce qu’elle lui semble ni homme ni femme), qui n’a jamais quitté la demeure maternelle à l’heure d’écrire Mme Bovary et n’a connu que des femmes de passage, sa liaison avec Louise Colet étant elle-même très épisodique. Et pourtant, sa peinture de la condition féminine semble plus réaliste que celle qu’en fait George Sand : la réalité jaillit dans toute sa force, le quotidien ne cache pas son aspect dérisoire, on cherche pas à grandir ni à camoufler quoique ce soit.

Est-ce que cette différence tient seulement au talent de l’écrivain ? Au choix d’une esthétique romantique ou réaliste ? Ou bien est-il plus difficile pour une femme au début du XIXe de parler de manière véridique de la vie d’une femme que pour un homme à la fin du même siècle?

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[club] Sand & Flaubert – Retour aux sources : L’ennui domestique

indiana1 mme bovary 1Indiana et Mme Bovary ont en commun une figure féminine qui n’a pas l’air à sa place. L’incipit d’Indiana est très éloquent sur ce point : il me rappelle tant le Lys dans la vallée et les longues soirées passées par Félix chez Mme de Mortsauf que la soirée au coin du feu qui verra le destin de la fille de la Femme de trente ans changer, dans le roman du même nom. Dans Mme Bovary, l’ennui est plus diffus, il est présent dès la jeunesse d’Emma dans la ferme familiale, lors de sa visite à la nourrice, dans tous ses actes pour le conjurer (enivrement du bal, liaison avec Rodolphe, achats compulsifs, nouvelle liaison…). On a le sentiment que l’ennui est strictement domestique dans Indiana et plus métaphysique, plus général, dans Mme Bovary – ce qui pourrait expliquer la fertilité de la figure d’Emma, transposable dans beaucoup de situations (je pense par exemple à l’adaptation en bande dessinée, puis en film, intitulée Gemma Bovery, où Emma, ce n’est pas elle, c’est lui).