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[bio] Judith Butler

Judith Butler naît le 24 février 1956 à Cleveland (Ohio, USA) dans une famille juive.

butlerFormation à l’école des préjugés et des philosophes. Judith Butler se décrit comme une enfant indisciplinée et curieuse. Dans le documentaire français réalisé en 2006 par Paule Zadjermann, elle confie avoir été marquée par la volonté d’intégration de sa famille qui s’appliquait à se conformer à l’image hollywoodienne de la famille américaine. « Peut-être la théorie de Trouble dans le genre est-elle issue de mon effort pour comprendre comment ma famille incarnait les normes hollywoodiennes ou ne les incarnait pas. ». A l’adolescence, la découverte de son homosexualité a d’abord été un choc. Le regard porté par sa famille et la société sur son homosexualité constitue un autre élément déterminant dans l’évolution de sa pensée. A cela il faut ajouter sa découverte de la philosophie à 14 ans par l’intermédiaire de deux ouvrages trouvés dans la cave de ses parents. « Le premier, c’était Ou bien… Ou bien de Kierkegaard, et l’autre, l’Ethique de Spinoza. Je pensais qu’avec ces lectures, j’apprendrais à contrôler mes émotions adolescentes » (Interview à Libération, 28 mai 2005). Elle choisit plus tard des études de philosophie à Yale où elle soutient sa thèse en 1984, Subjects of Desire : Hegelian Reflections in Twentieth-Century France, publiée en 1987. Elle se tourne alors vers l’enseignement et la recherche. Elle enseigne dans les universités Wesleyan (Connecticut) et Johns Hopkins (Maryland) avant de décrocher la chair Maxine Eliot de rhétorique et de littérature comparée à Berkeley(Californie).

Recherches. Elle se fait connaître de ses pairs et des féministes en publiant en 1990 Gender Trouble (Trouble dans le genre) qui pose les jalons de sa théorie en matière de genre et de langage et renouvelle les débats dans ces deux domaines. Elle s’appuie sur les pensées de Beauvoir, d’Austin, de Derrida, de Foucault et de Lacan. Elle poursuit cette réflexion en 1993 dans Bodies That Matter : On the discursive limits of « Sex » (Ces corps qui comptent : de la matérialité et des limites discursives du « sexe » »), reprise critique de Gender Trouble, puis en 1997 dans The Psychic Life of Power : Theories of Subjection et Excitable Speech. Elle oriente ensuite ses recherches vers la philosophie morale. Dans Antigone’s claim : Kinship between Life and Death (Antigone : la parenté Entre Vie et Mort) en 2000, elle fait de l’héroïne de Sophocle une figure du trouble dans la parenté interrogeant la norme hétérosexuelle de la famille, issue d’une psychanalyse qui a préféré se construire autour d’Œdipe. En 2004 elle publie Precarious life : Powers of Violence and Mourning ainsi que Undoing gender (Défaire le genre) qui reprend les questions du genre, du sexe et de la sexualité en les ancrant dans l’actualité. En 2005 elle traite des limites de la connaissance de soi ainsi que la relation entre la construction du sujet et l’obligation éthique dans Giving an Account of oneself (Le récit de soi). Elle est élue membre de l’American philosophical society en 2007. Ses travaux les plus récents se concentrent sur la philosophie juive et les guerres aujourd’hui. En 2009 elle publie Frames of War : when Life is grievable. Elle espère pouvoir bientôt écrire un ouvrage sur les paraboles de Kafka.

Engagements. Judith Butler s’engage également dans les débats politiques contemporains en opposition au gouvernement Bush ou en faveur de la cause palestinienne. Elle est considérée comme une des principales porte-paroles du mouvement gay et lesbien. Elle milite en faveur du mariage homosexuel, de l’homoparentalité. Elle-même élève un garçon avec sa compagne Wendy Brown, professeure de philosophie politique. Malgré l’importance de son œuvre dans la théorie queer, elle ne se range pas parmi ce mouvement. Elle refuse en effet une séparation totale entre l’analyse du genre et l’analyse de la sexualité. Avant tout Judith Butler se définit comme une féministe : « I would say that I’m a feminist theorist before I’m a queer theorist or a gay and lesbian theorist. My commitments to feminism are probably my primary commitments. » (http://www.theory.org.uk/but-int1.htm).

Trouble dans le genre (Gender Trouble)

L’essai paraît aux Etats-Unis en 1990. Butler y soutient une thèse novatrice sur le genre : il est performatif, il n’a pas d’original. En matière de genre, il n’y a que des imitations. La philosophe illustre cette thèse par l’exemple du drag-queen (p.261) : « En imitant le genre, le drag révèle implicitement la structure imitative du genre lui-même ainsi que sa contingence ».

Réception et mauvaises interprétations. L’ouvrage connaît un grand retentissement. Il est pour beaucoup dans le développement des gender studies et de la théorie queer. Il est vendu à plus de 100 000 exemplaires dans le monde. Fayard a cependant refusé de le traduire au motif qu’il était « inassimilable » pour le public français. L’ouvrage ne paraîtra en France qu’en 2005, bénéficiant d’une forte reconnaissance des philosophes et des féministes.

Les thèses de l’ouvrage font dès sa parution l’objet de mauvaises interprétations obligeant l’auteure à des précisions dans Bodies That Matter : On the discursive limits of « Sex » (Ces corps qui comptent : de la matérialité et des limites discursives du « sexe » ») paru en 1993. La philosophe refuse l’interprétation volontariste de son œuvre et se défend contre ceux qui l’accusent de nier la matérialité du corps. Elle revient tout d’abord sur son exemple devenu célèbre du drag-queen qui a été élevé à tort au rang de paradigme : on ne change pas de genre comme on change de costume. Ensuite la philosophe reconnaît avoir écarté trop vite la catégorie du sexe et revient sur la place de la contrainte dans sa construction.

Portée féministe. Dans la philosophie féministe, l’ouvrage marque un tournant parfois qualifié de « poststructuraliste ». Il n’y a pas chez Butler de sujet fort. Elle remet donc en cause l’existence d’un sujet collectif du féminisme. « Nous avons été plusieurs à utiliser le post-structuralisme pour nous opposer aux politiques identitaires. Toutes les expériences humaines ne peuvent être réduites à notre seul statut de femme, d’autant que cette identité est floue et instable. » explique la philosophe à L’Express le 6 juin 2005.

Bibliographie

Trouble dans le genre, La Découverte, 2005.

Ces corps qui comptent, Amsterdam, 2009.

Antigone : la Parenté entre Vie et Mort, Epel, 2003.

Pour aller plus loin

http://rhetoric.berkeley.edu/faculty_bios/judith_butler.html
http://www.egs.edu/faculty/butler.html

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[bio] Mlle de Scudéry

ClélieMadeleine de Scudéry naît au Havre le 15 novembre 1607. Orpheline à six ans, elle est élevée par un des ses oncles, un ecclésiastique et reçoit une éducation érudite.

Au centre de la vie intellectuelle parisienne. Elle séjourne pour la première fois à Paris chez son frère en 1635 et s’y installe définitivement en 1638. En 1644 elle suivra son frère à Marseille, mais ils reviendront dans la capitale en 1647. Dès son premier séjour parisien, elle est reçue par Madame de Rambouillet qui tient le salon le plus en vogue dans le monde des lettres. A partir de 1651, Madeleine tiendra elle-même un salon réputé qui prend le relais de celui de Madame de Rambouillet qui meurt en 1659. Les « samedis de Mademoiselle de Scudéry » réunissent des personnalités comme la Rochefoucault, Chapelain, Pomponne ou Pellisson mais aussi des femmes de lettres comme Mesdames de Lafayette et de Sévigné. Christine de Suède y sera également reçue en 1656 et restera une correspondante fidèle de Madeleine de Scudéry. On s’y livre à des tournois politiques ou on y tient des conversations galantes et spirituelles, on critique les ouvrages et les spectacles à la mode. Les ouvrages de Madeleine de Scudéry permettent de se faire une idée de l’ambiance de ses samedis car ils mettent en scène ces conversations sur l’amour, l’amitié ou l’art. Madeleine de Scudéry surnommée Sappho joue le rôle d’animatrice, d’incitatrice et de muse. Elle incarne avec ses invités le courant précieux, et plus encore l’esprit d’une époque. La Fronde, événement politique majeur au milieu du siècle est fort présent dans son œuvre, de même que les préoccupations morales et artistiques de ses contemporains. Son influence sur la vie artistique et philosophique du temps est réelle. Elle témoigne également du retrait des femmes dans la sphère privée et pose la question du mariage, qu’elle refusera toujours. Elle est en 1671 la première femme à recevoir le prix de l’éloquence de l’Académie Française pour son Discours de la Gloire. Elle est également élue en 1684 sous le nom de l’Universelle à l’Académie Ricovrati de Padoue qui posait au XVIIème la question de la participation des femmes à la vie politique. Elle est reçue en audience particulière par Louis XIV en 1683 et il lui accorde une pension. En 1695, il fera frapper une médaille à son effigie.

Publications cachées. Madeleine de Scudéry ne publie pas ses romans sous son nom, mais sous celui de son frère George, auteur des Femmes illustres. Il s’agit de romans en plusieurs volumes qui cachent sous les personnages historiques ou de fiction des contemporains et où les rebondissements de l’intrigue sont prétextes à des conversations de qualité entre les personnages. Les deux plus célèbres sont Artamène ou le Grand Cyrus (1649-53) qui donnera à Scudéry son surnom de Sappho et Clélie, histoire romaine (1654-1660) qui contient la Carte du Tendre, métaphore du sentiment amoureux, passée depuis à la postérité. Elle abandonne le roman pour devenir moraliste, suivant ainsi l’évolution de son époque devenue critique à l’égard de la préciosité. Elle publie des Conversations en 1680 et1684 où elle traite de la politesse, de la galanterie, de la jalousie, de la raillerie et du discernement. En 1686 et en 1688, elle écrit de nouvelles conversations à la demande de Madame de Maintenon qui les destine aux maîtresses de Saint-Cyr.

Elle meurt le 2 juin 1701 à Paris. « Il sufit d’annoncer la mort de Damoiselle Madeleine de Scudéry, pour faire entendre par ce seul mot que la France vient de perdre un des plus grans ornemens qu’elle eût, & qu’elle aura jamais » dit l’éloge publiée par l’abbé Bosquillon dans le Journal des savans du mois de juillet de l’année 1701.

Clélie, histoire romaine.

Le roman comprend dix volumes publiés entre 1654 et 1660. Il raconte les amours de Clélie et Aronce, qui, après de nombreuses péripéties seront réunis. Le prétexte historique qui cadre leurs aventures est la guerre de Tarquin contre Rome, mais leurs aventures sont souvent l’occasion d’explorer les liens entre amour, amitié et tendresse. Plusieurs récits inscrits à l’intérieur du récit principal (ou récits enchâssés) le permettent.

L’œuvre suscite l’engouement des contemporains qui s’amusent à reconnaître les personnages réels derrière les figures de fiction et apprécient la profondeur des discussions. Cependant Clélie n’est pas épargnée par la critique montante dont fait l’objet la préciosité à cette époque.

Le roman, victime du procès fait à la préciosité et des changements de goûts, passe ensuite à l’oubli. La Carte du Tendre, représentation topographique et allégorique de l’amour, lui garantit cependant la postérité. Cette carte continue de figurer dans les manuels d’histoire littéraire et à illustrer la préciosité. Il est bien sûr très réducteur de ne retenir de Clélie que cette carte et d’y résumer, a fortiori, toute la préciosité : en 2006, Delphine Denis redonne une chance au roman et à Mademoiselle de Scudéry en publiant une version abrégée en poche de l’œuvre.

Bibliographie

Clélie, histoire romaine, Gallimard, édition de Delphine Denis, 2006.

Pour aller plus loin

http://www.bibliotheque-mazarine.fr/exposcudery/exposcudery1.htm

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[bio] Mme de Sévigné

sevigneMarie de Rabutin- Chantal naît à Paris le 5 février 1626.

Une éducation moderne. Orpheline très tôt – son père meurt quand elle a dix-huit mois, et sa mère quand elle a six ans, elle décrit cependant sa jeunesse comme heureuse. Elle sera élevée d’abord par ses grands-parents maternels puis par son oncle maternel Philippe de Coulanges, abbé de Livry. Elle reçoit une éducation moderne, sans latin ni rhétorique, mais apprend l’espagnol et l’italien. Elle devient une jeune fille spirituelle et séduisante, en plus d’une héritière solidement dotée.

Une brève expérience conjugale sans succès. Elle épouse à 18 ans le marquis de Sévigné, issu d’une vieille noblesse de Bretagne. Elle lui donnera deux enfants Françoise en 1646 et Charles en 1648. Il n’y a pas d’amour entre les deux époux et le marquis de Sévigné non seulement trompe sa femme mais se compromet dans ses affaires galantes. A la suite de l’une d’elle, il est tué dans un duel le 4 février 1651 par le chevalier d’Albret. Madame de Sévigné se retrouve veuve à vingt-cinq ans et prend le deuil. Elle passe quelques mois sur les terres de son mari, les Rochers, puis revient à Paris où elle vivra ordinairement jusqu’à sa mort, mis à part des voyages. Elle paraît à la Cour depuis sa jeunesse, mais ses relations avec Louis XIV ont toujours été quelque peu tendues. Son mari a soutenu les conjurés lors de la Fronde, elle est amie avec des hommes en disgrâce, Bussy et Foucquet ; elle interdit que sa fille devienne favorite

Amitiés. Madame de Sévigné fréquente l’hôtel de Rambouillet, puis le salon de Madeleine de Scudéry. Elle est bien entourée, notamment par Madame de Lafayette, La Rochefoucauld ou Pomponne. Très courtisée, surtout après la mort de son époux, elle ne cède à aucun de ses prétendants mais conserve avec eux des liens d’amitié. Parmi ces soupirants éconduits devenus amis fidèles, on compte son cousin Bussy et le surintendant Foucquet. Tous les deux vont placer la marquise dans un scandale. Bussy, tout d’abord, reproche à sa cousine de ne pas lui avancer une somme sur un héritage commun et se brouille avec elle en 1658. Il publie un portrait acide de sa cousine dans un roman à scandales. Plus grave est cependant le scandale dans lequel l’entraîne Foucquet. Après l’arrestation du surintendant à Nantes en 1661, sa correspondance est rendue publique. La rumeur d’une liaison avec la marquise de Sévigné circule à Paris et à la Cour. Bussy défendra sa cousine et se réconciliera ainsi avec elle. De plus, le Roi lit les lettres de la marquise : elle lui révèle son intégrité morale, mais surtout elles lui plaisent esthétiquement.

Un amour maternel déçu à la base d’une carrière littéraire. Madame de Sévigné a toujours écrit des lettres. C’est un moyen de communication habituel à l’époque. Mais ses premiers correspondants, parents ou amis, n’ont pas juger nécessaires de garder ses lettres, dont le but était seulement de communiquer. Madame de Sévigné elle-même ne confie-t-elle pas en 1649 qu’ »une heure de conversation vaut mieux que cinquante lettres »? (Chère Madame de Sévigné, R. Duchêne, p.48) C’est le départ de sa fille qui va opérer un tournant et faire des lettres de Madame de Sévigné des œuvres littéraires. Françoise de Sévigné, qui a toujours, hormis un bref séjour à la Visitation de Nantes, été élevée auprès de sa mère, doit en 1671 suivre son mari, le comte de Grignan, en Provence et quitter par conséquent sa mère. Celle-ci en est fortement affectée et se met à écrire régulièrement pour se consoler non seulement de l’absence de sa fille, mais de ce qu’elle appelle sa « froideur ». Madame de Grignan en effet ne semble pas retourner cette affection exclusive que sa mère lui porte, au point de la préférer dans son testament. Sur les 1120 lettres de Madame de Sévigné recensées aujourd’hui, 764 (soit 68%) s’adressent à sa fille.

Madame de Sévigné meurt à Grignan le 17 avril 1696.

Lettres

Une aventure éditoriale. Les lettres de Madame de Sévigné n’ont pas été publiées de son vivant. Certaines ont circulées, remarquées pour leur style et leur contenu. En 1697, ses réponses à des lettres de Bussy paraissent dans la correspondance de celui-ci. En 1725, quelques extraits de lettres à Madame de Grignan sont édités dans une plaquette. Deux volumes paraissent l’année suivante sous le patronage de la petite-fille de la marquise : il s’agit en fait de copies subreptices des lettres de la marquise réalisées par le fils ainé de Bussy. La petite-fille, Pauline de Simiane, fille de Madame de Grignan, vexée de l’utilisation abusive de son nom, confie alors à Denis-Marius Perrin la réalisation d’une édition officielle. Il publie ainsi 614 lettres en 1734 et 772 en 1754. Il s’agit de lettres tronquées par Pauline et remaniées par l’éditeur qui se pose pratiquement en co-auteur. En 1818 et en 1862, Monmerqué essaye de revenir aux originaux ; mais cela n’est vraiment possible que grâce à la découverte en 1873 par Capmas, un antiquaire, d’un lot de copies manuscrites. Ce manuscrit ne paraît intégralement qu’en 1953 dans la Pleiade (édition de Gérard Gailly), puis en 1973 (édition de Roger Duchêne).

Des textes estimés. Trois raisons ont porté à publier les lettres de Madame de Sévigné et à la distinguer ainsi de ses contemporains, qui eux aussi s’écrivaient. Les lettres de Madame de Sévigné :

* Constituent un témoignage historique sur les mœurs, mais aussi les événements historiques. L’historien peut par exemple y trouver des éléments sur les campagnes de Louis XIV, l’affaire des poisons, la vie à la Cour…
* Sont une œuvre moraliste. Mme de Sévigné sait remarquer les effets et les signes des caractères.
* Sont une œuvre littéraire. Mme de Sévigné sait imaginer et rendre. Son style est original et constitue une véritable création.

Bibliographie

Madame de Sévigné, Lettres, Garnier-Flammarion, 2006.

Duchêne Roger, Chère Madame de Sévigné, Découvertes Gallimard, 1995.

Bernet Anne, Madame de Sévigné, mère passion, Perrin, 2009.

Pour aller plus loin

http://agora.qc.ca/mot.nsf/Dossiers/Mme_de_Sevigne
http://www.alalettre.com/sevigne-oeuvres-lettres.php