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[club] Balzac, Les Chouans – Destinée incomplète des femmes

[photopress:chouans03.jpg,thumb,pp_image]Je pense que notre Bookclub se doit de relever ce passage concernant la condition féminine :

« Si je viens à penser que je suis seule, dominée par des conventions sociales qui me rendent nécessairement artificieuse, j’envie les privilèges de l’homme. Mais, si je songe à tous les moyens que la nature nous a donnés pour vous envelopper, vous autres, pour vous enlacer dans les filets invisibles d’une puissance à laquelle aucun de vous ne peut résister, alors mon rôle ici-bas me sourit; puis, tout à coup, il me semble petit, et je sens que je mépriserais un homme, s’il était la dupe de séductions vulgaires. Enfin tantôt j’aperçois notre joug, et il me plaît, puis il me semble horrible et je m’y refuse ; tantôt je sens en moi ce désir de dévouement qui rend la femme si noblement belle, puis j’éprouve un désir de domination qui me dévore. Peut-être, est-ce le combat naturel du bon et du mauvais principe qui fait vivre toute créature ici-bas. Ange ou démon, vous l’avez dit. Ah! ce n’est pas d’aujourd’hui que je reconnais ma double nature. Mais, nous autres femmes, nous comprenons encore mieux que vous notre insuffisance. N’avons-nous pas un instinct qui nous fait pressentir en toute chose une perfection à laquelle il est sans doute impossible d’atteindre. Mais, ajouta-t-elle en regardant le ciel et jetant un soupir, ce qui nous grandit à vos yeux…
– C’est?… dit-il.
– Hé bien, répondit-elle, c’est que nous luttons toutes, plus ou moins, contre une destinée incomplète. »

Il y a à mon avis plusieurs façons de comprendre cette « destinée incomplète »
Incomplet car elle n’est pas un homme, incomplet car c’est le destin de l’être humain, incomplet parce que la société interdit aux femmes de s’accomplir. C’est en quelque sorte la problématique que nous soulevons depuis plusieurs années.

J’ajoute qu’au début du dialogue Marie soulève toutes les remarques que j’ai faite sur la figure de l’espionne : supèrieure car pleines de charmes cachés, mais méprisante et vile…

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[club] Balzac, Les Chouans – La révolutionnaire en Mata-Hari

[photopress:sans_culotte.jpg,thumb,pp_image]De quelle manière une femme peut-elle, selon le Balzac des Chouans, participer à une révolution ? « Les femmes font rarement la guerre, mais vous pourrez, quelque vieux que vous soyez, apprendre à mon école de bons stratagèmes » : voilà ce que déclare Marie à Corentin lorsqu’elle décide de livrer l’homme qu’elle aime mais dont elle veut se venger. Engagée dès le départ par les Républicains pour séduire et livrer Le Gars, Marie rejoint la figure de la combattante cristallisée par Mata-Hari : c’est avec sa beauté et son pouvoir de séduction qu’elle lutte. Le ressort de ce combat est l’ascendant psychologique et affectif obtenu via l’éveil et la frustration du désir de l’autre. La trahison finale n’est pas un moyen mais une fin, et doit être lue comme la victoire finale d’une guerre dont le perdant n’aura même pas compris qu’elle était engagée. La qualité principalement requise est donc la capacité à se dissimuler (d’où : un certain talent pour le mensonge et la comédie), l’assurance, l’aptitude à manipuler (ce qui implique une certaine finesse psychologique) et l’absence d’empathie pour l’autre.  Tout cela dresse un portrait de la femme révolutionnaire en soldat rusé, stratège, et en combattant solitaire (il s’agit d’un duel : un contre un). Si ces qualités ne sont pas physiques et ne s’inscrivent pas dans le déroulement d’un combat « normal », elles n’en restent pas moins des ressources dont toutes les guerres ont usé.

Peut-être serons-nous amenées à retrouver cette figure de la révolutionnaire en Mata-Hari ? …

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[club] Balzac, Les Chouans – Marie et Olympe

[photopress:Fran__ois_Boucher_019.jpg,thumb,pp_image]J’ai cru relever, dans la biographie de Marie de Verneuil, quelques similitudes avec celle d’Olympe de Gouges : toutes les deux sont filles naturelles et s’installent à Paris où elle est initié à l’esprit des salons et/ou des Lumières. Elles sont également dans le parti des Républicains et soumises au joug des protections masculines. Cela ne fait pas de Marie de Verneuil une Olympe de Gouges de fiction mais dessinent le portrait des femmes révolutionnaires : le premier élément en est l’indépendance due à une absence de rattachement à un milieu social ou familial déterminée. Cette indépendance,  s’accompagne d’une liberté d’esprit, renforcée par la fréquentation des salon, qui se trouve contrariée par la nécessité d’être sous la protection financière et morale d’un homme. Les revendications de liberté et l’envie de mettre à bas l’ordre social en place peuvent alors naître. – Cela ne fait pas de Marie une féministe : mais, sous une autre plume que celle de Balzac, le personnage tel qu’il était défini aurait pu le devenir !

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[club] Balzac, Les Chouans – Courage féminin et circonstances

[photopress:marianne_europeenne.jpg,thumb,pp_image] »Ce n’était pas un des moindres phénomènes de l’époque que cette jeune dame noble jetée par de violentes passions dans la lutte des monarchies contre l’esprit du siècle, et poussée par la vivacité de ses sentiments à des actions dont pour ainsi dire elle n’était pas complice ; semblable en cela à tant d’autres qui furent entraînées par une exaltation souvent fertile en grandes choses. Comme elle, beaucoup de femmes jouèrent des rôles ou héroïques ou blâmables dans cette tourmente » (Gallimard, « Folio », p. 79).

Dans ce passage, Balzac décrit Melle de Verneuil comme « poussée » à l’héroïsme comme malgré elle. Ce qui évoque le mot de Hegel : « Rien de grand ne se fait sans passion » – à ceci près qu’ici, Balzac semble réserver cette particularité de l’action héroïque, mue seulement par l’exaltation, aux femmes. Le courage féminin aurait-il, selon lui, cette spécificité de ne pouvoir être réfléchi et d’être ainsi l’antithèse du sang-froid ? L’attitude qu’adoptera Melle de Verneuil à la fin du roman conforte dans cette lecture. Ce qui est raconté ici, c’est la folie d’une âme romantique et amoureuse, non pas un véritable courage guerrier ou révolutionnaire.- Si Melle de Verneuil a croisé assez longuement la route de Danton, c’est là encore, à l’en croire, malgré elle, parce que les choses se sont passées ainsi, sans qu’elle en ait rien voulu.

Ainsi, selon Balzac, les femmes ne pourraient-elles être révolutionnaires que malgré elles ?

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[club] Balzac, Les Chouans- Révolution, passions, tragédie

[photopress:chouans.gif,thumb,pp_image]La Révolution est en arrière-plan. Elle est sur sa fin (après le 18 Brumaire, la France entre dans une autre ère, l’échec des Vendéens et des Chouans est une évidence depuis l’échec de Charrette, Montauran dans le roman ne parvient d’ailleurs pas à unir les chefs).

En outre, la Révolution est meurtrière (il y a des massacres dans le roman), violente. J’ai compté rapidement les mots « violent » et « violence » apparaissent 30 fois dans le roman (l’adjectif 14 fois et le nom 16 fois) la plus part du temps associé aux sentiments, aux désirs ou à la passion.

C’est en effet la passion qui intéresse Balzac, bien plus que la cause et c’est elle qui occupe le premier plan et non pas les batailles ou les débats politiques (puisque sur ce point tout est déjà joué). J’ai également rapidement compté 63 occurrences du mot « passion » dans le roman. C’est elle qui dirige l’action, c’est elle qui explique la violence de la Révolution

La passion dirige les trois principaux personnages (Marie, Montauran, Mme du Gua). C’est par amour, par vengeance ou par jalousie qu’ils s’agissent ainsi et non pas dans l’intérêt de la cause. Ils n’usent pas de raison ou de stratégie : ils se mettent en danger, voire se jettent dans la gueule du loup… Corentin, lui, calcule et n’est pas guidé par la passion. Ainsi Marie lui dit : « Vous avez le coeur sec, Corentin. Vous pouvez établir de savantes combinaisons sur les événements de la vie humaine, et non sur ceux d’une passion. Voilà peut-être d’où vient la constante répugnance que vous m’inspirez. »
La note de la page 193 attire notre attention sur ce rôle de la passion et explique que c’est la volonté de Balzac que d’en faire le maître de ses personnages. La passion est donc centrale dans le roman .

Autre élément central  la fatalité. L’amour de Marie et de Montauran est condamné dès le départ, de même que la révolte des Chouans (on l’a dit quand le roman commence la Révolution est finie). Le ressors du récit est l’amour impossible : à chaque fois qu’ils se rencontrent, l’un a l’impression que l’autre se joue de  lui.  C’est seulement dans la mort qu’ils sont réunis et là aussi que s’arrête le récit.
Passion et Fatalité sont les deux éléments qui font du roman une tragédie. Dès le début d’ailleurs  Marie se pose en héroïne de tragédie (p.88).