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[club] Evangiles des Quenouilles – Condition féminine

Triste condition féminine que celle décrite par les Evangiles des Quenouilles ! La Farce du cuvier se concluait déjà par le mari déclarant avoir le droit de battre sa femme, ici les références aux femmes battues se multiplient, ce qui témoigne de la banalité du fait… même lorsqu’elles sont enceintes !

Si le fait est banal, il n’en est pas admis pour autant par ses victimes : le fait qu’un homme batte sa femme enceinte est un mauvais signe pour l’accouchement… cela nous semble une évidence physique aujourd’hui mais tenait de la croyance autrefois.

Ce dernier point me permet de conclure sur l’idée suivante : si toutes ces croyances nous semblent parfois un peu absurdes, elles n’en témoignent pas moins d’une réelle volonté de comprendre, d’expliquer des phénomènes sortant de l’ordinaire et redoutés (nanisme, bec-de-lièvre, accouchement douloureux voire fatal, engorgement des seins, guerres, épidémies…). Il s’agit de maîtriser les événements, quitte à ce que ce soit par la divination, qui permet de les anticiper tout en les reconnaissant comme survenant indépendamment de toute volonté humaine. Le paradoxe continue… Les croyances sont le fait d’une volonté d’expliquer, et les gloses relèvent souvent d’un bon sens qui tourne en ridicule cette volonté de rendre compte des bizarreries à tout prix, en témoigne le treizième chapitre de la 2e journée :

« Si on évite de jeter les os au feu après avoir mangé la viande, ou si on empêche d’autres de le faire, on n’aura jamais mal aux dents, en l’honneur de saint Laurent.

Glose. Maïs Noir-Trou affirme la vérité de ce chapitre ; mais elle dit qu’au lieu de cela, il arrive souvent que les chiens se battent pour les avoir ».

Evidemment. La superstition n’est pas toujours adapté au quotidien !

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[club] Evangiles des Quenouilles – La femme et la magie

Prenant le biais de la superstition, les Evangiles des Quenouilles dressent un portrait des femmes en magiciennes, blanches ou noires.

L’une des intervenantes s’appelle Gomberde la Fée ; on y parle de loups-garous, le cauchemars, de lutins et de fées, de philtres d’amour ;  une autre intervenante, dame Transeline du Croq, est versé dans l’art de la divination ; une autre sait comment séduire les hommes, une autre encore a été docteur en cachette, son père l’ayant été. Autant de pouvoirs inquiétants, primordiaux, qui tiennent, à l’époque, du merveilleux parce que ne peuvent pas être expliqués (peu de microbiologie et de chimie au Moyen Âge, peu de théories psychologiques et relationnelles !).

Tout cela dresse un portrait de la femme en sorcière ; nous sommes ici en présence de fileuses qui veillent : les sorcières ne se réunissent-elles pas, dans les légendes, la nuit, munies d’attributs féminins comme des balais ? La quenouille est le symbole de la condition féminine et d’un autre pouvoir : celui de tisser, c’est-à-dire de créer voire d’écrire (textum = ce qui est tissé ; pensons à l’activité de fileuse des Parques, qui décident des destins humains, mais aussi aux tapisseries, notamment à celle de Philomèle qui, dans les Métamorphoses d’Ovide, après avoir été violée et avoir eu la langue coupée, dévoile le nom de son agresseur en tissant une tapisserie).  Sorcellerie et quenouille évoquent également les contes populaires, dont bon nombre ont leur racine dans des réalités sociales car sont issus des traditions orales, comme La Belle au bois dormant.

Ce texte associe donc femme et magie ; mais il se fait magique lui-même quand on pense qu’il a pu être lu, en tant que texte de divertissement, à haute voix pendant des veillées…

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[club] Evangiles des Quenouilles – Quelle vision des femmes ?

Les Evangiles des Quenouilles se présentent sous forme de veillées pendant lesquelles 6 femmes discutent et échangent des croyances ayant trait aux sentiments amoureux, à la conception d’un enfant, à la santé. Il s’agit de superstitions populaires dont la lecture peut étonner d’abord et ennuyer ensuite ; à la relecture, l’ironie est partout présente, et c’est ce qui rend ce texte intéressant. Les croyances énoncées semblent parfois être prises au pied de la lettre… puis la glose qui les suit, c’est-à-dire le commentaire qu’en fait une auditrice, peut rendre la croyance absurde. On ne sait plus quoi croire…

Il en va de même pour la vision des femmes qui se dégage de ce texte. Dans le prologue, l’auteur (masculin) dit vouloir glorifier les femmes « doctoresses » qui détiennent un tel savoir ; mais il les compare avec solennel aux évangélistes, comparaison et sérieux quelque peu exagérés. On comprend alors qu’on est du côté de l’ironie : ces femmes ne sont pas réellement des autorités pour un lettré. Mais on doute tout aussitôt : pourquoi, alors, prendre le soin de rapporter toutes ces croyances, si on n’y accorde pas de prix ? Est-ce pour se moquer de leur absurdité ? Le texte était en effet copié pour des aristocrates à côté de devinettes et de « jeux de société ». Pourtant, le Moyen Age n’est pas l’époque du rationalisme…. En témoignent les bestiaires, qui définissent par exemple le chat comme un animal qui sait tout du passé et de l’avenir mais qui refuse de rien en dire ! Alors quoi ? Ces femmes sont-elles vraiment considérées comme savantes ? Pourquoi alors faire suivre les croyances qu’elles exposent par des gloses les tournant en dérision ? Est-ce pour se défendre d’y croire tout à fait, tout en concédant la fascination qu’elles exercent ?

Par cette ambiguïté, ce texte me semble rendre bien l’ambivalence de la superstition : on dit qu’on n’y croit pas, on y fait tout de même attention malgré soi, au cas où… Plusieurs croyances développées ont par exemple trait à la conception des enfants et à l’influence de certaines pratiques sur son physique : chez Montaigne, le fait qu’une femme ait regardé le portrait d’un homme noir suffit à expliquer que l’enfant soit métisse ! Y avait-il de l’ironie chez Montaigne dans ce passage ? Ce n’est pas exclu ; il se ferait en cela le relais des Evangiles, dont l’ambivalence à l’égard de la superstition se retrouve à propos des femmes : objets de fascination et de dérision, elles portent avec elles le mystère du sentiment amoureux (certains hommes, dans la littérature, se sentent ensorcelés par une femme et subissent cet attrait comme un charme inexplicable) et de la vie.

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[club] Quinze joies du mariage – Echos

L’itinéraire du couple décrit par les Quinze joies du mariage m’a fait penser à plusieurs autres oeuvres littéraires.

L’école des femmes d’abord, où Agnès est enfermée pour rester naïve, ne pas tomber amoureuse, rester pure. Dans les Quinze joies, l’enfermement ne suffit pas à garantir l’innocence, puisque le contact avec les autres femmes est autorisé… Mais dans L’école des femmes, l’innocence n’est pas sauve non plus !

Autre parallèle possible : Mme Bovary. Le mari des Quinze joies se trouve en effet pris au piège des dépenses de sa femme, dépenses de coquetterie qui la mène sur la pente de l’adultère… Pour Emma Bovary, les deux phénomènes sont concomittants, ce n’est plus la coquetterie qui mène à la luxure, mais ces deux vices sont quand même mis en avant comme des maux féminins, signes d’un dévoiement.

Le principal point commun entre ces trois oeuvres est qui plus est de traiter de la condition féminine ; il me semblait intéressant de relever cette filiation et de montrer ainsi que la littérature médiévale nous permet de jeter un autre regard sur la littérature qui nous est plus connue, car est plus étudiée à l’école.

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[club] Quinze joies du mariage – Un rire dû au renversement des rôles ?

Les Quinze joies du  mariage s’inscrivent dans le registre satirique : il s’agit de grossir le trait pour faire rire. Le rire ne naît pas, comme dans la Farce du cuvier, du fait que c’est l’homme qui est préposé aux taches ménagères : il n’y a pas de renversement des rôles. Mais la femme est peinte comme coquette, luxurieuse, dépensière, cruelle, insensible, intéressée ; l’homme en est donc la victime. La métaphore de la « nasse » (piège pour attraper les poissons) revient souvent : c’est l’homme qui est pris au piège du mariage, pas la femme. Cela va à l’encontre de tout ce que nous avons lu jusque là pour les siècles postérieurs mais aussi pour le Moyen Age. Il y a donc bien, à mon sens, un renversement des rôles masculin/féminin sur ce point.

Ce renversement apparaît d’autant mieux que le mari accepte, au bout de quelques temps, de laisser sortir sa femme… Ce qui signifie qu’elle vivait jusque l’à cloîtrée chez elle. De quel côté se trouve la « nasse » ?

Dans un tel cadre, réel, que révèle le texte, se dessine une réalité féminine bien noire ; les alliances entre femmes pour se défendre de telles contraintes se comprennent alors aisément…